Conférence internationale : « L'énergie nucléaire au XXIe siècle »

Traduction en français du discours
prononcé par James Lovelock.

Paris, 21-22 mars 2005

Mesdames, Messieurs,

Il est probable que nous soyons confrontés à de gigantesques perturbations de l'environnement dans le courant du XXIe siècle. Bien entendu, nous n'avons pas de certitudes quant à l'avenir, seulement des probabilités. Une succession de grandes éruptions volcaniques peut interrompre cette évolution, ou bien les Etats-Unis peuvent agir en envoyant dans l'espace des panneaux parasols sur orbite héliocentrique. En tout cas, la hausse presque irréversible de la température peut aujourd'hui être enrayée. Cependant il serait aussi peu raisonnable de poursuivre nos activités comme si de rien n'était et d'attendre d'être sauvés que, pour un grand fumeur, de compter sur ses bons gènes ou sur la chance pour le protéger des risques du tabac.

Je m'adresse à vous aujourd'hui en qualité de scientifique et de fondateur de la Théorie de Gaïa, la science du système écologique de la terre qui décrit celle-ci comme une planète autorégulée, capable de maintenir une température et une composition chimique toujours favorable à la vie. Je me sens depuis toujours profondément concerné par la nature, mais, en tant que scientifique, je considère que l'état de la terre a atteint aujourd'hui un stade très dangereux pour nous et pour notre civilisation. Cette opinion est partagée par les scientifiques du monde entier. Malheureusement, les gouvernements, particulièrement en Europe, semblent moins écouter les scientifiques que les partis écologistes et les groupes de pression verts. Je suis moi-même un Vert et je sais aussi que tous les Verts sont bien intentionnés, mais ils comprennent les gens beaucoup mieux que la terre et, par conséquent, les mesures et les solutions qu'ils proposent sont inadaptées.

La situation qui en résulte est grave : c'est un peu comme si les épidémies du Moyen Age revenaient sous une forme mortelle et que l'on nous conseillait sérieusement de les arrêter à l'aide des médecines douces non scientifiques. Les médecines douces ont certes leur place, et lorsque l'on jouit d'une bonne santé, il est bon d'éviter de prendre des médicaments puissants pour soigner des maux sans gravité ; nombreux sont ceux qui recourent à l'acuponcture ou à l'homéopathie. Mais en cas de maladie grave, il est nécessaire d'appliquer des traitements plus forts.

Maintenant que nous avons rendu la terre malade, il ne sera pas possible de la soigner par les remèdes alternatifs des Verts comme les éoliennes ou les biocarburants. C'est pourquoi je recommande de recourir à la médecine appropriée que constitue l'énergie nucléaire, l'un des éléments parmi l'ensemble raisonnable des sources d'énergie à notre disposition.

L'année dernière, nous avons pris conscience de manière croissante de la menace que représente le réchauffement de la planète. Dans l'Arctique, le changement climatique est aujourd'hui plus de deux fois plus rapide que sous les latitudes tempérées et, en été, des torrents de neige fondue se déversent depuis les glaciers du Groenland, hauts de plusieurs kilomètres. Bien sûr, la fonte totale des glaces des montagnes du Groenland prendra du temps.

D'ici-là, le niveau de la mer aura monté de sept mètres, assez pour rendre inhabitables les villes situées le long des plaines côtières du monde entier comme Londres, Venise, Hambourg, Calcutta, New York, Tokyo et bien d'autres encore.

Les glaces flottantes de l'océan arctique sont encore plus vulnérables face au réchauffement, et d'ici 30 ans, la plus grande partie de leur surface, recouverte de neige réfléchissante (correspondant à la superficie des Etats-Unis), deviendra une mer sombre, qui absorbera la chaleur de l'été et accélèrera encore la fin des glaces du Groenland.

Le pôle Nord, but de tant d'explorateurs, ne sera plus alors qu'un point sur la surface de l'océan. Non seulement l'Arctique change, mais les climatologues prédisent qu'une hausse de la température de quatre degrés est suffisante pour faire disparaître la vaste forêt amazonienne, ce qui serait une catastrophe pour les peuples qui l'habitent, la biodiversité et la planète, qui perdrait l'un de ses poumons régulateurs. En 2001, les scientifiques qui font partie du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat ont prédit que la température augmenterait de 2 à 5 degrés Celsius d'ici 2100. Si l'on en juge d'après les observations et les prévisions modélisées présentées lors d'une réunion qui s'est déroulée en février dernier à Exeter (Royaume-Uni), ces prévisions pessimistes pourrait même s'avérer au-dessous de la réalité.

Les glaces de l'Antarctique contribuent aujourd'hui à faire monter le niveau de la mer. Le degré d'acidité de l'océan devient dangereux pour la vie marine et la chaleur excessive de l'été 2003, qui a causé la mort de plus de 30 000 personnes en Europe, n'était pas une période de canicule exceptionnelle mais un avant-goût de la chaleur excessive qui nous attend dans le courant de ce siècle.

Certains sont encore sceptiques face au réchauffement de la planète. Parmi eux : l'influent et très talentueux romancier Michael Crichton. Son roman sensationnel « State of Fear » nie le réchauffement climatique. Malheureusement, le public est toujours beaucoup plus ému par la fiction que par les articles scientifiques. Aussi, nous aurions réellement besoin d'un bon roman en faveur de l'énergie nucléaire, et de sa transposition dans un film produit par Hollywood.

La raison pour laquelle je pense que l'avertissement donné par la planète est vraiment grave et vraiment pressant réside dans le fait que Gaïa est maintenant prise dans un cercle vicieux de rétroaction positive. L'augmentation de la chaleur, quelle que soit la source dont elle provient, gaz à effet de serre, disparition des glaces de l'Arctique, changement de la composition chimique de la surface de l'océan ou destruction de la forêt tropicale, est amplifiée et la combinaison des effets de ces différents phénomènes ne se limite pas à une simple addition. On peut comparer cette situation à celle dans laquelle nous aurions allumé un feu pour nous réchauffer, sans remarquer, pendant que nous continuerions à rajouter du bois, que le feu échappait à notre contrôle et que les meubles étaient en train de s'embraser. A ce stade, il reste peu de temps pour éteindre le feu avant qu'il ne consume toute la maison. Le réchauffement de la planète, comme un feu, est en train de s'accélérer et il ne reste presque plus de temps pour agir. Les spécialistes du climat sont sûrs que lorsque le nombre de particules de dioxyde de carbone contenues dans l'air atteindra environ 400 ou 500 par million de particules, la terre aura atteint un seuil au-delà duquel le réchauffement devient irréversible. Le niveau est maintenant de 380 par million et au taux de croissance actuel, le niveau de 400 particules par million sera atteint avant 7 ans. Nous avons tellement détérioré l'atmosphère de la planète et détruit ses écosystèmes pour fournir des terres cultivables aux habitants de la planète, de plus en plus nombreux, que celle-ci est déjà malade et qu'elle ne recouvrera pas la santé avant des milliers d'années. Les années que nous passons à poursuivre nos activités sans rien changer à nos habitudes ne font qu'augmenter les dommages déjà causés.

Nous ne pouvons pas nous prétendre civilisés si nous ne pensons qu'à nous-mêmes. Ce ne sont pas les dommages causés par les premières atteintes portées à Gaia au cours de ce siècle qui devraient nous inquiéter le plus. C'est la pensée que notre négligence insouciante d'aujourd'hui, si nous ne modifions pas notre comportement, laissera un champ de ruines aux générations de demain.

Nous faisons de notre mieux pour éviter une catastrophe, mais je constate avec tristesse que les Etats-Unis ou les économies émergentes de la Chine et de l'Inde ne font pas marche arrière à temps et que ces pays seront bientôt nos principales sources d'émissions.

Je crains que le pire ne se produise un jour et que les survivants ne doivent s'adapter à un monde brûlant et hostile. Pour conserver les avantages de la civilisation, ils auront besoin plus que jamais d'une source d'énergie sûre et fiable pour mettre en œuvre leur adaptation et pour cela il n'existe pas d'autre solution raisonnable que l'énergie nucléaire.

A mesure que l'atmosphère de la terre évoluera vers une température plus élevée, des changements rapides, tant géographiques que démographiques, surviendront. La civilisation est grande consommatrice d'énergie et nous ne pouvons pas y renoncer sans provoquer son effondrement brutal. Bien que nous ayons besoin de quelque chose de plus efficace que l'idéologie écologiste du protocole du Kyoto, je doute que de véritables mesures soient prises tant que les catastrophes causées par l'effet de serre ne deviendront pas suffisamment fréquentes pour nous obliger à unir nos efforts, en considérant le monde comme une unité, en auto-limitant notre consommation de combustibles fossiles et notre utilisation abusive de Gaïa.

Je crois que pendant ce temps l'industrie nucléaire mondiale continuera à fournir de l'électricité d'une manière sûre et fiable et que cette source d'énergie donnera à la civilisation une chance de survivre pendant les moments difficiles qui s'annoncent dans un avenir proche.

Nous devons cesser de penser aux besoins humains et aux droits de l'homme de manière individuelle. Nous devons faire preuve de courage et admettre que la véritable menace provient de la terre vivante que nous avons endommagée et qui est maintenant en guerre contre nous.

Nous devons faire la paix avec Gaïa et nous rappeler que nous en sommes un élément constitutif. Et que c'est elle notre demeure.

Merci.

 

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