Sortir du nucléaire, une erreur historique

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Lettre du PROFESSEUR ANDRÉ BERGER

au Premier ministre de la Belgique, Guy Verhofstadt

By Pr. André Berger, Maître en sciences météorologiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology, USA) Docteur en sciences de l'UCL

L'électricité nucléaire sert le développement durable mais peut aussi venir au secours des sinistrés climatiques.

Sortir du nucléaire en ce début du 21ième siècle est non seulement un anachronisme, mais est et restera, pour longtemps encore, la plus grande erreur jamais commise par un gouvernement en Belgique. Poursuivre et développer l'électricité nucléaire est - au contraire - une des manières parmi les plus efficaces de servir le développement durable.

L'année 2002 est la seconde la plus chaude des 150 dernières années pour lesquelles les observations météorologiques existent, juste après 1998 qui a battu tous les records, y compris des 1.000 dernières années pour lesquelles on a pu reconstruire le climat de la Terre.

Contrairement à 1998, 2002 n'a été que faiblement influencée par le phénomène El Nino et, à ce titre, pourrait donc bien constituer une preuve majeure de la contribution humaine au réchauffement global.

En Europe, la température annuelle moyenne a augmenté de 1,2°C au cours du dernier siècle, deux fois plus que la moyenne globale planétaire. La banquise arctique fond à un rythme accéléré. A Uccle, 2002 est une des trois années les plus chaudes qu'on ait pu observer depuis 1833 et la paire 2001-2002 détient le record absolu des précipitations pour la même période.

Parallèlement, la concentration en CO2 dans l'air a atteint 371 ppmv (parties par million en volume), une valeur inégalée au cours du dernier million d'années. Si les prévisions du Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat se réalisent, il faudra remonter plusieurs millions d'années dans l'histoire du passé de la Terre pour trouver des températures et des concentrations en CO2 aussi élevées que celles prévues pour le 21 ième siècle. De plus, nos calculs montrent que les impacts des activités humaines sur le climat ne se limiteront pas au 21ième siècle, mais s'étendront sur plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'années à venir.

A très longue échéance, il se peut qu'une planète plus chaude soit plus agréable à vivre. En attendant, la transition sera plus que probablement pénible étant donné le temps mis par la Société pour comprendre, admettre et s'adapter à une situation qui évolue trop vite pour elle. Vagues de chaleur, sécheresse, inondations, tempêtes, épidémies, plus fréquentes et plus intenses que jamais, constituent un cortège d'événements difficilement gérables par un monde qui n'y est guère habitué.

Cela souligne à souhait combien nous devons être vigilants et mettre tout en oeuvre, le plus vite possible, pour nous adapter aux nouvelles circonstances climatiques et pour réduire leurs impacts autant que faire se peut. Vous avez été un de ceux, Monsieur le Premier Ministre, à plaider avec force, à Johannesburg, pour l'application immédiate du protocole de Kyoto et son prolongement dans le futur. Je ne peux que partager votre point de vue et renchérir. L'application stricte de ce Protocole n'est, en effet, qu'une entrée en matière : si nous voulons limiter le réchauffement global à une valeur acceptable - au sens d'un développement durable - ce Protocole devra non seulement être prolongé, mais aussi renforcé considérablement.

Pour limiter le réchauffement global de 1° à 2°C, le calcul des experts montre que les émissions globales planétaires doivent être réduites de plus de 50 % dès à présent ! Vous n'ignorez pas, Monsieur le Premier Ministre, que le protocole de Kyoto requiert que les pays industrialisés diminuent de 5,2 % seulement leurs émissions globales de gaz à effet de serre d'ici les années 2008 à 2012. Lors des négociations, l'Europe, volontaire, a promis une réduction de 8 % et la Belgique de 7,5 %. Qu'en est-il actuellement et comment les experts - toutes disciplines confondues - voient-ils l'avenir?(...). Aujourd'hui, l'Europe globalement respecte sa promesse. Toutefois, en l'absence de mesures nouvelles, elle ne pourra pas atteindre son objectif d'ici les années 2010. Pour la Belgique, la situation est nettement plus sérieuse. Alors qu'en 2000 nous aurions dû être 3,75 pc en dessous de nos émissions de 1990, nous étions 6,7 pc au-dessus. Si, le Protocole de Kyoto devient contraignant, tout dépassement des objectifs qui n'aura pas été compensé par une contribution à assainir la situation dans un autre pays fera l'objet d'une amende via l'achat obligatoire de permis d'émettre. De tels permis sont actuellement cotés à la bourse de Londres à raison de quelque 75 Euros/tonne de CO 2. Si nous devions payer aujourd'hui, la note serait donc déjà de 1,1 milliard d'euros c'est-à-dire 110 Euros à payer par chacun des 10 millions d'habitants que nous sommes (...). Une telle situation est-elle évitable ? Oui, même mieux, elle est réversible et, en agissant vite, Kyoto pourrait devenir une source considérable de profits pour la Belgique. La solution réside essentiellement dans une production d'électricité propre, non émettrice de CO 2. A l'heure actuelle, l'électricité nucléaire est la seule qui puisse venir à notre secours. Evidemment, pour cela, il faut accepter d'analyser sereinement et objectivement le problème, en refusant toute argumentation subjective et sectaire (...).

D'abord les arguments utilisés contre le nucléaire sont-ils justifiés ? Qu'on le veuille ou non, notre civilisation est une civilisation du risque. Parmi tous ceux que nous encourons celui de l'électricité nucléaire est bien parmi les moindres. La sécurité des centrales est des milliers de fois supérieure à celle des industries lourdes, de la chimie et des biotechnologies. Les déchets nucléaires sont bien moins dangereux que les déchets industriels, pharmaceutiques et hospitaliers, voire même ménagers.

Par rapport aux substances chimiques inertes dangereuses, ils ont au moins le mérite d'avoir un temps de vie limité (même s'il nous semble long) et les technologies de pointe montrent que leur quantité et leur radioactivité résiduelle sont appelées à diminuer considérablement dans l'avenir.

Reste le terrorisme. Ici, aussi, faut-il rappeler que ce fléau des temps modernes est essentiellement basé sur l'arme blanche, chimique ou autre conventionnelle et, actuellement plus encore, sur l'arme bactériologique. De toute façon, quoi que l'on fasse, le refus de l'électricité nucléaire, n'empêchera jamais une puissance de se doter d'un armement nucléaire. A l'opposé, l'électricité et l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire sont bien loin de conduire systématiquement à l'arme nucléaire.

Finalement, rappelons que le prix de l'électricité nucléaire comprend non seulement le coût de la production, mais aussi celui du démantèlement des centrales et du traitement et stockage des déchets. Aucune autre industrie n'inclut pareille provision pour l'assainissement de notre environnement. (...)

Cela étant, qu'en serait-il si nous nous passions de toutes les centrales nucléaires actuellement en service en Belgique ou, au contraire, si nous transformions toutes nos centrales thermiques en centrales nucléaires? Les estimations budgétaires qui suivent ne tiennent compte que du prix `Kyoto´ de la tonne de CO2. Fin du 20 ième siècle, notre production d'électricité se faisait à raison de 55 % à partir du nucléaire, de 43 % à partir des centrales thermiques et de 2 % à partir du renouvelable.

Dans ces conditions, le passage du nucléaire au thermique se solderait par des émissions supplémentaires de 38,8 MtCO 2. Ce chiffre représente donc ce que le nucléaire nous permet de sauver actuellement en émission de CO2: 25 % de nos émissions totales ! Au contraire, la conversion des centrales thermiques actuelles en centrales nucléaires, se solderait par une diminution des émissions de CO 2 de 30 Mt. Cela nous placerait en position bien plus favorable par rapport à notre objectif puisque nous serions alors 10 points en dessous de Kyoto. Au marché des `permis d'émettre´, la vente de ce boni nous rapporterait 2,25 milliards d'Euros. Différence entre les deux politiques: 5,16 milliards d'Euros, sans compter que le boni de 2,25 milliards d'Euros permettrait aisément d'indemniser les victimes d'inondations et autres catastrophes climatiques et d'investir dans des infrastructures indispensables pour se protéger de tels cataclysmes à l'avenir.

La Belgique est-elle suffisamment riche pour ignorer de tels enjeux? Un compromis politique est-il raisonnable face à de telles sommes? Avons-nous le droit d'hypothéquer de la sorte l'avenir de nos enfants en les endettant à jamais et en manquant une occasion unique d'investir à long terme? Pour tout citoyen responsable, la réponse est clairement non (...)

En réalité, tout montre combien le nucléaire reste en Belgique indispensable et que toute politique visant à s'en passer relève de l'utopie, voire du mensonge à la population. Et ce, sans même parler des problèmes que crée ne fut-ce que l'intention de se retirer du nucléaire pour la sécurité, pour le développement et pour l'emploi.

Quel technicien, quel universitaire et quel investisseur voudraient encore parier sur un domaine sans avenir? Plutôt que de se retirer du nucléaire, nous devrons en faire la promotion et investir dans cette source d'énergie dont le rapport qualité/prix est, et restera encore, pour plusieurs décennies, le meilleur.

Nous rejoignons ici la Commissaire européenne chargée des Transports et de l'Energie affirmant que `l'Union européenne ne peut se permettre le luxe (...) de renoncer à l'énergie nucléaire´. Cela permettra en plus de valoriser le know-how développé par notre pays dans ce domaine au cours des cinquante dernières années et d'attendre des jours meilleurs. Non seulement nous rendrons service à notre pays, mais nous donnerons l'exemple de ce qu'est une participation réelle, responsable, au développement durable.

La réflexion du professeur Berger se trouve in extenso sur le site internet http://www.lalibre.be.

© La Libre Belgique 2003