Nucléaire et risque terroriste
Roland Masse* et Nicole Colas-Linhart**
Texte présenté en décembre 2002 lors d'une séance publique consacrée au risque terroriste à
l'Académie des sciences
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Académie des technologies, Résidence Le Boqueteau, 11 rue du Haras, 91 240 Saint Michel sur Orge, [email protected]**Laboratoire de Biophysique, Faculté de Médecine Xavier Bichat, BP 416, 75870 Paris CEDEX 18
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Résumé
Des alertes au terrorisme nucléaire apparaissent régulièrement dans les médias depuis leffondrement de lex URSS, on ne déplore cependant aucun acte terroriste de cette nature jusquà ce jour. La réalité de la menace sappuie sur la vulnérabilité des stocks darmes et de matières fissiles dans les années 90 en ex URSS, sur la vulnérabilité des installations nucléaires civiles en général et sur la possibilité de disperser dans lenvironnement, à laide dun explosif conventionnel (bombe sale), des radionuclides facilement accessibles dans les millions de sources médicales et industrielles de par le monde. La nature des dommages qui peuvent résulter de ces actions terroristes va de lacte de guerre dévastateur, peu probable, de même nature que le bombardement dHiroshima, au dommage insidieux, tout à fait possible, résultant de la panique que susciterait une bombe sale même dépourvue deffets meurtriers. Il est de la responsabilité des scientifiques dinformer lopinion sur les effets réels de ce type dagression pour en limiter les effets psycho-sociaux.
Mots Clés : terrorisme nucléaire, bombe nucléaire, bombe sale.
Summary
Repeated public statements of concern about nuclear terrorism were made after ex USSR collapse, however no nuclear or radiological weapon was used by terrorists up to now. Weapons and stockpiles vulnerability in USSR during the nineties made that threat credible as well as the vulnerability of nuclear facilities everywhere in the world. Moreover millions of poorly secured industrial and medical sources make plausible the use of such sources for dirty bomb construction. The consequences of nuclear terrorism include mass destruction in a way similar to Hiroshima bombing during last world war, which would be extremely difficult for terrorists to accomplish, and much more insidious, but much more plausible, mass panic generated by a dirty bomb detonated over a city, even if relatively harmless. It is the responsibility of scientists to inform the public on the real effects of such attacks to limit their dramatic psychosocial effects.
Key words : nuclear terrorism, nuclear weapons, dirty bomb
Contexte général
Secret, international et transnational, le terrorisme se prête mal à une approche académique. Le terrorisme nucléaire en outre na jamais conduit ses menaces au terme dune action achevée, même si la réalisation en a été portée jusquà lextrême limite de la démonstration de faisabilité lorsquune charge explosive dune trentaine de kilos, contenant une source de Césium 137, a été placée dans le parc Ismailovsky à Moscou en 1995. Il semble par contre acquis, selon un rapport des Nations Unies (1), que lIrak sest livré en 1987 à des essais de dispersion de matière radioactive à laide de bombes contenant une charge dune tonne dexplosif conventionnel.
Il est en général considéré que limportance accordée au terrorisme nucléaire est contemporaine de leffondrement de lUnion Soviétique affectant gravement le contrôle institutionnel sur le parc nucléaire militaire et civil. Du fait de leur danger potentiel, le risque dutilisation darmes perdues ou dérobées domine les préoccupations.
A la lumière des réactions du secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan (2), il faut néanmoins prendre en considération lextraordinaire attrait que peut représenter pour un groupe terroriste un attentat contre une centrale nucléaire ou un lieu dentreposage (3), en raison de lampleur des conséquences de laccident de Tchernobyl. Bien que le dernier rapport de lUNSCEAR (4) ait rappelé que les conséquences médicales et sanitaires directes de laccident sont limitées - aux victimes déplorées parmi les 600 agents qui sont intervenus sur le lieu de lincendie du 26 avril 1986, - et, dans la population, à un excès de 1800 cancers de la thyroïde de lenfant dont la très grande majorité bénéficient dun pronostic très favorable, cest un tout autre bilan que tire le Secrétaire général de lONU pour Associated Press (2) : "Chernobyl is a word we would all like to erase from our memory," said U.N. Secretary-General Kofi Annan in a foreword. But, Annan added, "more than 7 million of our fellow human beings do not have the luxury of forgetting. They are still suffering, everyday, as a result of what happened." He said the exact number of victims may never be known, but that 3 million children require treatment and "many will die prematurely." Ce jugement résulte de la prise en compte globale de lensemble des perturbations sanitaires directes et indirectes incluant les conséquences économiques et psychosociales induites par laccident, y compris celles qui résultent du traitement social de la crise. Les mêmes conclusions devaient être précisées dans le rapport conjoint de lONU et de lOMS de janvier 2002
Lensemble des mesures nécessaires au rétablissement de la situation économique et sociale dans la région a été évaluée à 500 milliards de dollars (5)
Une nouvelle phase pourrait avoir été atteinte après les attentats du 11 septembre 2001. En effet Mohamed El Baradei, Directeur de lAgence Internationale de lEnergie Atomique de Vienne (AIEA) déclarait le 30 octobre 2001 The willingness of terrorists to sacrifice their lives to achieve their evil aims creates a new dimension in the fight against terrorism Cette situation justifie du point de vue de lAIEA la nécessité dintensifier le contrôle de laccès aux matières nucléaires, notamment fissiles et de renforcer la sécurité des centrales nucléaires et des sites dentreposage.
Ceci ne doit pas faire oublier que de nombreuses sources diffuses peu protégées peuvent être à lorigine dactions terroristes et laccident de Goiania dans un contexte accidentel banal donne une mesure de lampleur des conséquences de la dispersion insidieuse de sources radioactives médicales utilisées en radiothérapie (Tableau) .
Tableau : Accident de Goiania (Brésil), 1987 in ICRP publication 86 (6)
Nature de la source |
Source de chlorure de Césium 137 pulvérulent de 51 TBq (1375 Ci) sous forme de source scellée, utilisée en radiothérapie |
Circonstances |
Abandon de lunité sans contrôle sur un site en cours de destruction ; piratage pour récupération de métaux, ouverture de la source : les fragments libèrent une poudre qui émet une lumière bleue, ils sont distribués aux proches. |
Conséquences |
249 personnes contaminées, 54 hospitalisées (10 entre 1 et 8 Gy). On déplore 4 décès malgré le traitement (Bleu de Prusse et GM-CSF). 112.000 contrôles anthropogammamétriques |
Conséquences durables |
67 km2 ont été concernés, parmi 159 maisons 42 durent être décontaminées. Lensemble de la population locale nécessite une surveillance médicale et psychologique. |
Cette dimension du problème mobilise récemment les efforts de lAIEA
(7)qui déclare dans son communiqué de presse du 13 mars 2003 : Source security has taken on a new urgency since 9/11," Dr. Mohamed El Baradei, Director General of the International Atomic Energy Agency said during the conference opening. "There are millions of radiological sources used throughout the world. Most are very weak. What we are focusing on is preventing the theft or loss of control of the powerful radiological sources," .Parmi les problèmes que soulèvent les sources diffuses introduites dans lenvironnement figurent ceux dus aux insuffisances de données concernant la radiotoxicité des toxiques nucléaires possibles et les difficultés rencontrées à qualifier le dommage qui en résulte sous forme dune équivalence de dose par rapport à une exposition externe. Ces problèmes conduisent à remettre en question les approches dosimétriques en situation concrète (8) et se prêtent à une manipulation de données largement utilisées par certains groupes de pression (9), ils nécessitent probablement un effort de recherche.
Sources de données
Le terrorisme salimente de la rumeur, les Etats menacés protègent leurs actions contre-terroristes par le secret nécessaire aux actions de défense, il est donc difficile de faire une analyse des données obéissant aux règles habituelles des publications scientifiques.
Au titre de la rumeur, lun des épisodes les plus significatifs est celui dit du mercure rouge (10). En 1995 de nombreuses initiatives maffieuses de vente dun produit censé permettre la fabrication darmes thermonucléaires se sont manifestées, fondées sur la confusion dappellation entre un oxyde mixte de mercure et dantimoine et le nom de code russe du deutérure de lithium utilisé réellement dans la fabrication des armes. Cet épisode a mis en évidence lexistence dun marché (de dupes) parallèle concernant plusieurs centaines de trafics de cette nature, témoignant de lignorance des acheteurs potentiels darmes terroristes.
Il existe cependant de nombreuses sources de données sur internet offrant une fiabilité reconnue. LOMS a ouvert en février 2003 un thème terrorisme nucléaire sur son site (
http://www.who.int/ionizing_radiation/a_e/terrorism/en/), lAIEA (http://www.iaea.org/worldatom/) permet un accès à de très nombreuses publications et prises de position sur le sujet. Plusieurs sites américains privés dont en particulier le Centre dEtudes de Non-prolifération de Monterey Californie (http://cns.miis.edu) et le Nuclear Control Institute (http://www.nci.org) produisent des synthèses, ils tiennent les archives des événements rapportés par les médias et des réactions quils suscitent auprès de la classe politique, en particulier sous forme de témoignages devant le Sénat américain. Il faut également noter lexistence dun site (http://www-cgsc.army.mil/milrev/english/julaug97/sanz.htm) donnant lensemble des publications spécialisées depuis 1992.En France, bien que nabordant le sujet que de manière marginale, le rapport Dautray (11) fait une analyse très complète des sources utilisées aux fins de production dénergie et permet de situer limportance réelle de plusieurs failles exploitables par le terrorisme. Depuis quelque temps les grandes revues scientifiques simpliquent également Science, notamment sur le trafic de matières nucléaires (12) ou plus récemment sur la résistance des centrales nucléaires à limpact dun avion de ligne (13). Avec les articles de Helfand (14) dans le British Medical Journal et Mettler (15) dans le New England Journal of Medicine il est évident que le terrorisme nucléaire à gagné suffisamment en crédibilité pour avoir mobilisé la presse médicale spécialisée.
La réalité dune menace nucléaire terroriste est de plus attestée par le trafic de matières nucléaires. Des centaines alertes ont été relevées dont la majorité résultent du trafic parallèle créé par la rumeur, cependant de 1993 à 2001 lAIEA a identifié 175 cas de trafic réel (14) dont certains concernaient des quantités notables de matière fissile : 4 kg duranium enrichi en République Tchèque et 400 g de plutonium en Allemagne en 1994, 18,5 kg duranium enrichi dans lex URSS (16), 1,16 kg duranium enrichi en 2001 en Turquie en sont des exemples, tandis que plusieurs attaques contre des sites de stockage de matériels fissiles sont déclarées en 2001 par les autorités russes. Il faut ajouter à ce bilan les déclarations embarrassantes du général Alexander Lebed qui a estimé en 1996 quil manquait plusieurs dizaines dengins miniaturisés (suitcase nukes) dans linventaire des armes soviétiques en Tchéchènie (17). Bien que la réalité du fait demeure suspecte, la fragilité créée par leffondrement de lURSS laisse planer un doute sérieux sur le contrôle des armes et cette menace est renforcée par les tentatives effectuées par des groupes terroristes de recruter des scientifiques et ingénieurs nucléaires russes ayant perdu salaire et statut social privilégiés (16). La perte du contrôle institutionnel sur les sources radioactives concerne également des sources industrielles puissantes qui peuvent être dérobées sans risque dans plusieurs régions retirées de lex URSS. Cest le cas des RTG, générateurs électrothermiques comprenant des sources de plusieurs centaines de TBq de césium 137 ou de strontium 90, utilisés en particulier comme balises pour la navigation arctique et la communication. Ces sources abandonnées, certaines démontées pour la récupération du métal (18), constituent le type de ces sources orphelines particulièrement dangereuses que dénonce lAIEA (7) et dont certaines sont à lorigine daccidents sévères notamment en Georgie (19).
Scénarios
Les scénarios possibles dattentats sont de 3 types : - Lutilisation dune arme nucléaire, - lutilisation dune bombe sale ou la dispersion déléments radioactifs sans explosifs, - lattentat contre un site nucléaire, centrale ou lieu dentreposage.
Lutilisation dune arme suppose soit qu elle ait été dérobée, soit quon lait construite.
Dans le premier cas se pose le contrôle des stocks darmes dont lessentiel des 30.000 têtes existantes fait lobjet daccords bilatéraux de réduction des stocks entre les Etats Unis et la Russie (20), bien que dautres sources puissent être envisagées (16). Actuellement la probabilité de possession darmes nucléaires semble être faible (21) malgré la vulnérabilité des armes russes pendant les années 90 ; les experts voient la preuve du contraire dans la tentative récente de groupes terroristes den obtenir du Pakistan (22).
La deuxième perspective sappuie sur lexistence bien réelle dun trafic de matières fissiles et sur la grande vulnérabilité des stocks. Elle suppose que les terroristes aient la maîtrise de la construction dun engin nucléaire. De nombreuses sources sur internet ont donné des recettes plus ou moins plausibles se rattachant à lune des 2 voies possibles datteindre une masse supercritique de matériel fissile : le rapprochement de 2 masses sous-critiques par explosion conventionnelle ou limplosion dune charge creuse, obligatoire pour lutilisation du plutonium (23). Plusieurs kilos de plutonium et plusieurs fois plusieurs kilos duranium enrichi (16) sont nécessaires.
Ces constructions nécessitent un réel savoir faire et bien que les publications américaines suggèrent que le plutonium du combustible usé dans les centrales permette daboutir à un engin explosif, R Dautray (11) remarque que la preuve nen a jamais été donnée et que le plutonium du recyclage ne participe que peu à la prolifération, point de vue partagé par B. Pellaud (24). Le bon fonctionnement dun engin nécessite en effet une grande rigueur de mise à feu assurée par de strictes conditions damorçage et de géométrie ; il reste quun engin qui ferait long feu (23) pourrait quand même, avec une puissance inférieure à 1kt, disséminer dimportantes quantité démetteurs alpha dans lenvironnement, conduisant à une réelle catastrophe économique bien qu avec des effets meurtriers limités.
Dans tous les cas la fabrication et lutilisation dun engin artisanal se heurtent à de nombreuses difficultés : - laccès à la matière fissile est difficile, - construire lengin est long et techniquement difficile, - la miniaturisation est apparemment hors de portée de lartisanat et lengin résultant serait lourd, difficile à transporter, détectable par les radiations quil émet. Si un tel engin existait néanmoins et quil puisse exploser à sa puissance nominale dans une cité occidentale, les conséquences seraient voisines de celles observées à Hiroshima, faisant plus dune centaine de milliers de victimes par ses effets immédiats ou peu retardés (14-15).
La bombe sale est constituée dun explosif conventionnel et dune source radioactive quelconque quil est chargé de disperser. Quelques bombes sales furent expérimentées en 1987 en Irak, utilisant le zirconium 95 activé comme source radioactive (1). Le zirconium présent dans les gaines de combustible avait, pour les experts irakiens, lavantage dêtre facile à disperser et davoir une période physique relativement courte. Lobjectif était de créer leffroi dans les troupes iraniennes par les effets aigus de lirradiation. La faible efficacité du procédé sur le champ de bataille conduisit à son abandon. Il nen serait pas de même dans le cadre dune action terroriste comme la démontré devant le Sénat américain (25) H. Kelly président de la fédération des scientifiques américains (FAS). Trois exemples furent choisis.
Le premier scénario est lexplosion au dessus de Washington dune source de calibrage médical au césium, perdue quinze jours avant en Caroline du Nord, dispersée par une charge de 5 kg de TNT. Bien quil ny ait pas deffet meurtrier de lirradiation résultante, la mise en application des contraintes de dose fixées par lEnvironmental Protection Agency (EPA) aboutirait à abandonner pour des dizaines dannées de larges zones pouvant inclure le Capitole et la Cour suprême.
Le deuxième scénario est la pulvérisation dun crayon de cobalt 60 tel quon en trouve dans les centres dionisation utilisées pour la stérilisation du matériel et de produits agro-alimentaires ; plusieurs dizaines de ces crayons sont rassemblés constituant en France de sources de lordre de 50.000 TBq (1,5 Mci). Dans le cas dune explosion sur Manhattan, il ny aurait pas de victimes immédiates dues à lirradiation (à lexception de ceux qui manipuleraient une telle source) mais une surface denviron 1000 km2 serait contaminée pour plus de 40 ans et 300 blocs de la ville encourraient un risque de cancer de lordre de 10%, nécessitant la démolition et la reconstruction dune partie importante de la ville.
Le même exercice avec une source daméricium telle que celle utilisée pour la surveillance des forages pétroliers pulvérisée sur Manhattan aboutirait de manière insidieuse à une contamination chronique étendue sur 2 km par remise en suspension dans lair qui serait inacceptable sur la base des recommandations de lEPA. La reconstruction des quartiers affectés pourrait dépasser 50 milliards de dollars.
Ce qui est remarquable dans ces scénarios cest que la situation de panique créée ne résulterait pas des effets perceptibles de lengin mais deffets cancérogènes possibles dans des proportions probablement trop faibles pour que lépidémiologie puisse en saisir la réalité. Larme utilisée par le terroriste dans ce cas serait une arme essentiellement psychologique qui tirerait sa crédibilité des principes mis en uvre par la radioprotection pour une gestion prudente de lexposition des populations en situation dexploitation normale. Dans le cas dexpositions chroniques, lorsque la maîtrise des sources ne peut être assurée, les règles internationales de radioprotection (26) utilisent cependant dautres critères justifiés par lobservation de nombreux cas dexposition naturelle élevée sans risque décelé, aucune action nétant requise en particulier pour des expositions inférieures à 10 mSv par an. Le problème évident néanmoins est que lopinion naccepterait vraisemblablement pas ces critères dans le cas dune agression terroriste (5).
Par rapport à lengin nucléaire terroriste qui demeure peu vraisemblable (21-27), le scénario de la bombe sale est vraisemblable en raison de la très grande diversité des sources diffuses dans le monde. Dans cette perspective lAIEA (7) préconise de renforcer la sécurité des sources les plus vulnérables et les plus dangereuses. Elles sont de plusieurs origines mais les sources médicales utilisées en radiothérapie et pour la stérilisation des produits sanguins, les RTG, les sources utilisées pour lionisation, les déchets radioactifs devraient justifier des mesures de sécurité spécifiques.
Léventualité de dissémination insidieuse de sources naurait pas le même impact (15) mais il poserait également dimportants problèmes de gestion de la crise créée, surtout si lattaque est combinée avec celle dune bombe sale. Lalimentation en eau serait sans doute une cible à condition de disposer dune source facilement soluble ; la dispersion dans lair serait plus problématique car il serait nécessaire de disposer de sources insolubles finement pulvérulentes alors que lindustrie pour des raisons de radioprotection sefforce de produire des poudres de forte granulométrie.
Le dernier scénario dattentat est lattaque dun site nucléaire, une centrale, un centre de retraitement ou un transport de combustible irradié. R. Dautray (11) identifie particulièrement la vulnérabilité du transport et de lentreposage en surface. Cest incontestablement une question sérieuse qui comporte à la fois des aspects de sûreté et de vulnérabilité couverts par le secret défense.
En raison des dangers potentiels qui en résulte, la question a été posée de savoir si la vulnérabilité des sites doit, depuis le 11 septembre, être prise en compte dans lautorisation administrative dexploitation des installations nucléaires de base. La réponse fin 2002 de ladministration américaine, concernant linstallation de fabrication du combustible MOX est que lattaque terroriste est trop spéculative pour nécessiter une prise en considération spécifique (28). Cette prise de position rejoint celle de lAutorité de Sûreté Nucléaire française (29), qui considère que les règles de sûreté ne peuvent inclure les actes de guerre, tout en rappelant la robustesse des enceintes (11) caractérisant les centrales françaises.
Par rapport au scénario de la bombe sale, lattentat contre les installations nucléaires constitue potentiellement un attentat meurtrier pour les populations pouvant atteindre dans le pire des cas une centaine de milliers de victimes(30).
Dans le cas des centrales américaines il a été rappelé (16) quenviron la moitié dentre elles sétaient révélées incapables de contrôler laction de petits groupes malveillants qui auraient pu avoir accès aux commandes de sécurité. Il a été également envisagé quun attentat sur une piscine de stockage pourrait conduire à un feu de Zirconium dispersant le césium et les autres radioéléments volatils entreposés. Cette hypothèse a conduit à envisager un risque environ 50 fois supérieur à celui de Tchernobyl pour une explosion affectant lune des piscines dentreposage de combustible irradié de La Hague (3). Après la mise en sécurité de la région du Cotentin assurée par la Défense Nationale dans le train de mesures prises après lattentat du 11 septembre et rapportée début mars 2002, le réalisme dune telle hypothèse demeure cependant peu crédible ; le rapport européen (31) du STOA (Scientific and Technological Options Assessment) qui évoque ce problème et les conséquences qui en découlent, considère également que la thèse soutenue na que la valeur dun document de travail qui nest ni une publication officielle ni le reflet de lopinion du Parlement Européen.
Quelle que soit la plausibilité des scénarios évoqués, ceux concernant lutilisation darmes et le sabotage dune centrale ou dun site dentreposage sont ceux qui mobilisent le plus lattention de la part des autorités nationales et internationales. LAIEA fixe des objectifs généraux tels que (16) :
Il est évident que la mise en place de ces dispositifs demandera du temps, des moyens métrologiques appropriés au contrôle des trafics, la collaboration des Etats et ladoption de normes de qualité contraignantes prises avec une vision globale du problème. Cette dernière précaution nest pas seulement de principe. Lexemple des accords de désarmement entre les Etats Unis et la Russie depuis 1991, mis en uvre avec les initiatives Nunn-Lugar (32) et START (20) en montrent limportance. Le démantèlement dimportants stocks darmes, de leurs vecteurs et des silos de lancement, est incontestablement un signe de bonne volonté uvrant pour un monde moins risqué, toutefois le stock de matériaux fissiles demeure et il paraît évident que les sites de stockage concernant des centaines de tonnes de matières fissiles (avant achèvement des unités Mayak destinées à les rassembler) sont plus vulnérables que les armes, mieux gardées antérieurement. On pourrait en conclure que le démantèlement des armes a ainsi accru le risque terroriste.
Conclusion
En raison des difficultés dacquisition, de la dangerosité des sources éventuellement utilisables, de la technicité requise pour obtenir une menace efficace, le nucléaire semble ne présenter que peu dintérêt pour une action terroriste et de fait na pas encore été utilisé à ce jour. Néanmoins limportance du prestige que pourraient revendiquer les auteurs dun attentat et la panique quils pourraient espérer du résultat de leur action laissent cette éventualité dangereusement réaliste. Cette situation résulte de lincertitude existant sur la surveillance des armes et des matières fissiles accumulées dans lex URSS, sur la vulnérabilité des installations nucléaires civiles et sur la multiplicité des sources diffuses utilisées dans lindustrie, la recherche et la médecine.
Deux logiques différentes peuvent résulter dun attentat nucléaire.
La première est une logique de guerre, de destruction massive, lennemi sefforçant de faire le plus grand nombre de victimes possibles à laide dun engin nucléaire ou en sabotant des installations nucléaires. La riposte adaptée repose sur les mesures de sécurité prises au titre de la défense nationale et sur les traités et accords internationaux.
La seconde, beaucoup plus accessible pour leurs auteurs, est la logique de panique de masse induite par des engins de type bombe sale faciles à assembler (éventuellement kamikaze) mais ne présentant quun effet meurtrier limité. Lexpérience de Goiania pour la faisabilité et de Tchernobyl pour les conséquences psycho-sociales, montrent que de telles armes peuvent avoir un effet réellement dévastateur dans les sociétés modernes. Cet effet repose essentiellement sur une perception extrêmement hypertrophiée du risque quil importe de ramener à ses justes proportions. Il y a donc un effort prioritaire, urgent, de formation et dinformation sur ce que sont réellement les risques retardés dune exposition aux rayonnements ionisants. Ne pas le faire ou retarder le message fait des scientifiques informés les complices passifs des terroristes potentiels.
Références