Hervé Nifenecker est ancien président-fondateur de l'association Sauvons le Climat.
Toutes les questions relatives à la voiture électrique doivent s'examiner à la lumière d'un futur marché de masse. Quel serait l'impact sur la consommation globale d'énergie et les émissions de CO2 ?
1) Tout d'abord, une voiture electrique est-elle économiquement rentable ? Prenons un véhicule type avec des batteries lithium-phosphate de fer d'une capacité énergétique de 10kWh, une autonomie de 100 km, une durée de vie des batteries permettant de parcourir 200.000 km (2000 cycles), soit 10 ans. Le prix des batteries est de l'ordre de 10.000 ¤, que l'on peut considérer comme un surprix par rapport au modèle thermique (1). Sur 10 ans et pour un kilométrage de 200.000 km la dépense d'électricité au tarif heures creuses (2) se monterait à 1340 ¤ tandis que, sur la base d'une consommation du moteur thermique de 5 l/100km à 1 ¤/litre, la dépense atteindrait 10000 ¤. Calculé sur 10 ans on constate que la solution électrique est proche de la compétitivité. Il est vrai qu'il faudrait tenir compte des évolutions respectives des prix du pétrole et de l'électricité d'une part, de la TIPP et de la probable future taxe carbone d'autre part.
2) Les voitures électriques peuvent elles contribuer à diminuer les émissions de CO2 ?
Les 10.000 litres de diesel utilisées par le moteur thermique conduisent à l'émission de 24 tonnes de CO2. Par eux-mêmes, les moteurs électrique n'émettent pas de CO2. Certains tiennent toutefois à leur affecter le CO2 émis au stade de la production de l'électricité (3). En prenant la valeur moyenne des émissions en Europe (600 gCO2/kWh) la consommation des 20000 kWh conduirait à l'émission de 12 tonnes de CO2. Dans le cas de l'électricité produite en heures creuses en France (40 gCO2/kWh) les émissions sont ramenées à 1 tonne de CO2.
Dans le cas français, en admettant, à terme, un parc de 10 millions de voitures électriques particulières on pourrait éviter l'émission de 200 millions de tonnes de CO2, soit 10% de nos émissions totales et plus du tiers des émissions du secteur des transports.
3) Combien d'EPR faudra-t-il construire pour alimenter les voitures électriques ?
Une voiture parcourant 20000 km/an consomme 2000 kWh/an. La consommation totale de 10 millions de voitures atteindrait alors 20 TWh, soit 4% de la production française, un peu moins que celle de deux EPR. En réalité le nombre nécessaire d'EPR serait plus faible : en effet, entre une heure et six heures du matin la production des centrales nucléaires et thermiques à flamme est entre 5 et 10% moins grande que leur production diurne (d'où l'intérêt du double tarif pour EDF). Si les recharges ont lieu préférentiellement de nuit on peut estimer qu'un seul EPR sera nécessaire pour faire face à la nouvelle demande.
4) Y aura-t-il assez de lithium ?
En France Hervé Kempf fut le premier à sonner l'alerte. La base scientifique de ce scepticisme se trouve dans un article de William Tahil. Les réserves de lithium estimées par ce dernier sont comprises entre 6,8 (réserves économiquement exploitables) et 15 millions de tonnes (réserves totales). Notons que les estimations de ces réserves sont dépendantes des coûts d'extraction acceptables. Un travail plus récent de R. Keith Evans estime les ressources (hors considérations économiques) à 28,5 millions de tonnes. Actuellement le prix du lithium est aux environs de 5500 $ par tonne de carbonate de lithium (voir détails), soit environ 30 ¤/kg de lithium. Le poids de lithium inclus dans une batterie de capacité 10 kWh est de l'ordre de 3 kg6. Le coût du lithium dans la batterie est donc de l'ordre de 100 Euros. Ce chiffre est à comparer au prix de 10000 ¤ de la batterie, comme cité plus haut. On voit qu'une augmentation d'un facteur 10 du prix du lithium n'aurait qu'une faible influence sur le prix total des voitures électriques.
Dans ces conditions économiues, il semble donc justifié de retenir l'estimation haute des réserves à 28 millions de tonnes de lithium (4). William Tahil envisage la mise en service de 600 millions de véhicules électriques. Le stock de lithium présent dans les batteries de ces voitures serait donc de 1,8 millions de tonnes, un chiffre bien inférieur aux réserves. William Tahil ne s'étend pas sur le recyclage du lithium, ce qui le conduit à envisager que ces 600 millions de voitures soient remplacées tous les 10 ans, ou, encore qu'en moyenne il faudrait trouver 180000 tonnes de lithium tous les ans. En une centaine d'années on voit que les réserves seraient largement entamées. Mais, non seulement le recyclage du lithium est possible, mais il est obligatoire. Dans ces conditions tout change. Même un taux de recyclage assez médiocre de 90% permettrait de ne pas épuiser les réserves avant mille ans.
5) Peut-on développer suffisamment vite la production de lithium ?
Celle-ci atteint actuellement environ 23.000 tonnes par an. Supposons que l'on désire atteindre le nombre de 600 millions de voitures électriques d'ici 20 ans. Il s'agit de mettre en service une moyenne de 30 millions de voitures chaque année nécessitant une extraction annuelle moyenne de 90000 tonnes de lithium, soit 4 fois plus qu'actuellement. Ceci correspond à un taux annuel d'augmentation de 14% . Rapide, sans doute, mais pas impossible.
Notes
(1) Cette hypothèse est probablement pessimiste car l'absence de changement de vitesse aussi bien que le moindre coût des moteurs électriques devraient améliorer la compétitivité des voitures électriques.
(2) Tarifs EDF : Heures creuses 0,067 ¤/kWh Heures Pleines 0,11 ¤/kWh
(3) Cette façon de procéder transfère le responsabilité des émissions de CO2 du producteur d'électricité vers le consommateur qui n'en peut mais Elle n'est pas recommandable et n'est d'ailleurs pas retenue par l'UE pour le calcul des émissions des pays.
(4) Il y a aussi 230 milliards de tonnes de lithium dans les océans. Son extraction a été démontrée à l'échelle du laboratoire