La fusion nucléaire
Par Robert Baschwitz, membre de l'AEPN
Commençons par la fusion. Il sagit dessayer de reproduire sur Terre ce qui a lieu naturellement dans les étoiles ! Les étoiles, notre soleil, sont immenses par rapport à la Terre. Leur masse est telle que la gravité donne à la matière en leur cur une densité gigantesque, naturellement suffisante pour entretenir la réaction de fusion qui dégage une énergie colossale. Evidemment nul appareil sur place ne vise à domestiquer cette énergie. Sur Terre, il faudra concevoir, construire et entretenir des moyens artificiels pour obtenir les conditions nécessaires de densité et de température, recueillir la chaleur dégagée par la réaction de fusion, et en faire de lélectricité : telle est la finalité des recherches sur la fusion. Le problème est ardu, cest le moins quon puisse dire. Sans être des spécialistes de cette physique, voici trois exemples de difficultés, que nous pouvons comprendre :
1er exemple : Il faut atteindre (certes, par impulsions) au moins cent millions de degrés Celsius. Or aucun matériau à la surface de la Terre ne reste solide au-delà de 5000°C ! On sait constituer un plasma qui ne touche pas les parois, mais il nen sera jamais éloigné, et rayonnera énormément. Si lon trouve cependant des solutions technologiques, les matériaux voisins du plasma à cent millions de degrés se détérioreront vite et seront à changer souvent.
2ème exemple : Des neutrons sont émis, avec une énergie très élevée, de près de 15 millions délectrons-volts (MeV). Ils irradieront ces matériaux voisins et les rendront hautement radioactifs, ce qui imposera des précautions très difficiles lorsquil faudra changer des composants. Ce seront de vrais déchets radioactifs, contrairement à ce quon lit couramment, et un vrai problème de radioprotection.
3ème exemple : La réaction de fusion qui demande les températures " les moins élevées " transforme du deutérium 2H et du tritium 3H, qui devront constamment être introduits dans la machine, en hélium. Deutérium et tritium sont deux isotopes de lhydrogène, et vous savez que lhydrogène est le matériau le plus difficile qui soit à confiner, dautant plus quil fragilise les métaux. Or le tritium est radioactif. Cest un deuxième vrai problème de radioprotection, peut-être encore plus considérable que le premier.
Citons M. Vendryes, Directeur honoraire des applications industrielles nucléaires civiles au CEA :
" Je me réjouis pour le CEA que lEurope ait décidé de proposer le site de Cadarache pour limplantation dITER. Si ce choix est confirmé le mois prochain par lensemble des pays participant à lentreprise, le Centre de Cadarache verra son avenir assuré pour de longues décennies.
Mais il faut savoir de quoi on parle. ITER est un outil expérimental, qui permettra du moins peut-on raisonnablement lespérer - de produire un plasma dhydrogène ayant des caractéristiques proches de celles qui sont requises pour que la fusion thermonucléaire contrôlée soit possible. On pourra ainsi étudier à loisir les propriétés dun tel plasma, et en tirer des connaissances intéressantes. Le coût de linstrument est colossal, mais à partir du moment où le monde entier se cotise pour le réaliser et lexploiter, la dépense peut se justifier. De là à penser quITER serait le prototype dun futur " réacteur de fusion thermonucléaire " pour produire de lélectricité dans des conditions industrielles et économiques acceptables, cest une assertion que rien nautorise à formuler aujourdhui.
Il se peut que ma position soit vivement critiquée. Ny voyez aucun esprit de dénigrement, mais simplement lexpression dune longue réflexion sur un sujet dintérêt majeur. Je me suis trouvé, il y a maintenant quarante ans, parmi ceux qui ont lancé au CEA les études sur la physique des plasmas en vue de ses applications à la fusion contrôlée. Au bout de quelques années jai quitté ce domaine car javais malheureusement acquis la conviction que la probabilité était nulle que ces recherches puissent déboucher sur une application quelconque de mon vivant. Au cours du demi-siècle écoulé, des progrès spectaculaires ont été accomplis, et les équipes du CEA, dont je salue la compétence et lenthousiasme, y ont apporté une contribution majeure.
Il nempêche que, même si ITER apporte la démonstration quil est possible de produire " au laboratoire " un plasma thermonucléaire, les difficultés à surmonter pour en tirer un procédé valable de production délectricité demeurent immenses, sans même parler bien sûr des aspects économiques. A mon avis, le principal obstacle pour y parvenir au moyen dun appareil de type Tokomak est inhérent à la topologie des champs magnétiques indispensables au confinement. Du point de vue du concepteur, du constructeur, mais surtout de lexploitant, on peut difficilement imaginer une configuration plus défavorable que celle dun tore aussi ramassé sur lui-même.
Mon opinion actuelle sur les perspectives de la fusion thermonucléaire (quil sagisse de la voie par confinement magnétique ou de la voie par " confinement " inertiel) se résument comme suit, dune façon un peu lapidaire :
Seul lavenir - un avenir quaucun de nous ne connaîtra - le saura. Pour le moment gardons-nous dabuser lopinion en lui présentant comme une réalité à portée de main ce qui nest au mieux quun espoir. Quand je vois les premiers articles que suscite dans la presse lannonce qui vient dêtre faite au sujet dITER, je ne puis mempêcher de penser que le risque est grand quon égare le public. En tout cas il est clair pour moi quaucune politique de lénergie ne saurait tenir compte de la fusion thermonucléaire parmi les sources auxquelles il sera possible de faire appel, au moins à léchelle du présent siècle. "
Cela montre que sil y a peut-être un espoir daboutir au 22ème siècle à une exploitation industrielle de la fusion nucléaire pour produire de lélectricité, il est indispensable davoir dautres solutions moins ardues pour prendre le relais des technologies actuelles, en particulier pour le jour où le pétrole et le gaz deviendront rares et chers.
Or ce jour sapproche. La Shell a récemment annoncé une révision à la baisse de 20% de ses réserves prouvées de pétrole (LExpress du 9 février 2004). Les industriels américains se plaignent aujourdhui des cours du gaz naturel qui atteignent jusquà quatre fois les prix de base auxquels ils étaient récemment habitués.