La Fusion nucléaire
Un joli rêve, qui n'est pas prêt de se concrétiser
Je me réjouis pour le CEA que lEurope ait décidé de proposer le site de Cadarache pour limplantation dITER. Si ce choix est confirmé le mois prochain par lensemble des pays participant à lentreprise, le Centre de Cadarache verra son avenir assuré pour de longues décennies.
Mais il faut savoir de quoi on parle. ITER est un outil expérimental, qui permettra du moins peut-on raisonnablement lespérer- de produire un plasma dhydrogène ayant des caractéristiques proches de celles qui sont requises pour que la fusion thermonucléaire contrôlée soit possible. On pourra ainsi étudier à loisir les propriétés dun tel plasma, et en tirer des connaissances intéressantes. Le coût de linstrument est colossal, mais à partir du moment où le monde entier se cotise pour le réaliser et lexploiter, la dépense peut se justifier. De là à penser quITER serait le prototype dun futur " réacteur de fusion thermonucléaire " pour produire de lélectricité dans des conditions industrielles et économiques acceptables, cest une assertion que rien nautorise à formuler aujourdhui.
Il se peut que ma position soit vivement critiquée. Ny voyez aucun esprit de dénigrement, mais simplement lexpression dune longue réflexion sur un sujet dintérêt majeur. Je me suis trouvé, il y a maintenant quarante ans, parmi ceux qui ont lancé au CEA les études sur la physique des plasmas en vue de ses applications à la fusion contrôlée. Au bout de quelques années jai quitté ce domaine car javais malheureusement acquis la conviction que la probabilité était nulle que ces recherches puissent déboucher sur une application quelconque de mon vivant. Au cours du demi-siècle écoulé, des progrès spectaculaires ont été accomplis, et les équipes du CEA, dont je salue la compétence et lenthousiasme, y ont apporté une contribution majeure.
Il nempêche que, même si ITER apporte la démonstration quil est possible de produire " au laboratoire " un plasma thermonucléaire, les difficultés à surmonter pour en tirer un procédé valable de production délectricité demeurent immenses, sans même parler bien sûr des aspects économiques. A mon avis, le principal obstacle pour y parvenir au moyen dun appareil de type Tokomak est inhérent à la topologie des champs magnétiques indispensables au confinement. Du point de vue du concepteur, du constructeur, mais surtout de lexploitant, on peut difficilement imaginer une configuration plus défavorable que celle dun tore aussi ramassé sur lui-même.
Mon opinion actuelle sur les perspectives de la fusion thermonucléaire (quil sagisse de la voie par confinement magnétique ou de la voie par " confinement " inertiel) se résument comme suit, dune façon un peu lapidaire :
Seul lavenir-un avenir quaucun de nous ne connaîtra- le saura. Pour le moment gardons-nous dabuser lopinion en lui présentant comme une réalité à portée de main ce qui nest au mieux quun espoir. Quand je vois les premiers articles que suscite dans la presse lannonce qui vient dêtre faite au sujet dITER, je ne puis mempêcher de penser que le risque est grand quon égare le public. En tout cas il est clair pour moi quaucune politique de lénergie ne saurait tenir compte de la fusion thermonucléaire parmi les sources auxquelles il sera possible de faire appel, au moins à léchelle du présent siècle.
Georges Vendryes
Novembre 2003