Paris le 10 février 2003
COLLOQUE ADAPès des 5 et 6 février 2003
LE NUCLEAIRE : Enjeux énergétiques, environnementaux et contexte politique et géostratégique
QUESTIONS et REMARQUES de Jacques FROT, Michel LUNG et Jacques PRADEL (AEPN)
Session douverture
Le nucléaire est à laube de son histoire, comme létait encore le chemin de fer à la fin du 19ème siècle. Il ne faut pas en apprécier les vertus et les faiblesses à laune de ce quil est aujourdhui mais faire leffort dimaginer tout ce quil peut apporter aux hommes face aux problèmes que posent laccroissement de leffet de serre, lépuisement des ressources dénergie fossile, le manque deau douce et lavidité des hommes pour le transport des personnes et des biens.
La pure thermodynamique donne raison à Yves COCHET : fabriquer des calories à partir de lélectricité nest pas raisonnable si cette électricité a dabord exigé la fabrication de calories.
Mais cette analyse est partielle donc partiale : un kWh thermique na pas, à beaucoup près, la même valeur dusage que un kWh électrique. De nombreux français ont, par exemple, choisi librement le chauffage électrique pour des raisons de souplesse dutilisation et dadaptation aux besoins réels : cette souplesse est souvent source déconomie ; ils lont choisi de plus pour des raisons de propreté, de silence, dabsence de poussières et dodeur, de disponibilité sans rupture de stocks, dinvestissement réduit, de sécurité
..En labsence délectricité nucléaire la même adaptation aux besoins, le même confort ne pourraient être assurés que par une autre électricité charbonnière ou pétrolière ou gazière.
Yves COCHET annonce de façon péremptoire que le Débat National qui sengage est un leurre. Il sagit là dun procès dintention : cest une affirmation déplacée dans un colloque de cette qualité.
Yves COCHET estime quil est abusif daffecter 90% des crédits de la recherche à lénergie nucléaire. Il convient cependant de distinguer les crédits affectés au progrès de la filière nucléaire (technologie, sûreté
) et les gaspillages nécessaires à calmer les peurs engendrées par les exigences irrationnelles décologistes extrémistes. Combien de milliards dEuros sont dépensés pour réduire les impacts microscopiques de certaines installations ? Les contribuables devraient être informés des coûts (recherche comprise) entraînés par ces exigences et des bénéfices qui en découlent (coûts des fractions de micro-sieverts parfois supprimés).
La référence Tchernobyl pour dimensionner les risques du nucléaire est une mauvaise référence car " Tchernobyl est un accident soviétique non pas un accident nucléaire " formule reprise par J.C GAYSSOT, membre du PCF et ancien Ministre des Transports. Nous vous renvoyons, à ce propos, à létude AEPN J. FROT " Les Causes de lEvènement Tchernobyl ".
Le discours de François ROUSSELY est un modèle de lexpérience de l exploitant
du plus grand parc nucléaire mondial. Tout, ou presque, a été dit dans sa présentation
Anne LAUVERGEON a repris, sous une autre forme, la conclusion lapidaire à laquelle elle était parvenue au colloque ADAPès de 1999 : " Les hommes devront choisir entre le nucléaire et leffet de serre "
1ère Table Ronde : Le Nucléaire est-il utile ?
Les intervenants ont abordé la question essentiellement dans les limites de lhexagone, ne lélargissant que modérément à lEurope. Or, la politique énergétique de la France devra sélaborer avec une vision mondiale car la France, pays développé et lun des leaders du nucléaire, doit conserver le rôle planétaire que lui a déjà conféré depuis 20 ans son avance technologique. Sa participation au groupe Génération IV est lune des manifestations de ce rôle. Lutilisation du nucléaire dans les Pays en Voie de Développement (PVD) sera peut-être incontournable : elle est, pour le moment, impossible car les réacteurs aujourdhui opérationnels sont trop gros, trop chers et nécessitent une culture de sûreté généralement absente des PVD. Les pays développés devraient sans plus attendre développer des petits réacteurs à sûreté intrinsèque et, dans le même temps, aider les PVD à acquérir une bonne culture de sûreté.
Lhydrogène nest pas une source dénergie ! Au mieux un vecteur énergétique très coûteux. Pour fabriquer 1 kg dhydrogène il faut théoriquement autant et pratiquement beaucoup plus dénergie que ce kg nen restituera en se recombinant à loxygène. Ceci nest pas un problème technique ou technologique : cest de la physique et de la thermodynamique. Les progrès scientifique, technique et technologique ny changeront rien.
La co-génération nest pas lapanage du gaz : on sait faire de la co-génération avec le pétrole et le charbon
et lon saura en faire avec des réacteurs nucléaires dont il serait malthusien de considérer comme définitives de simples faiblesses de jeunesse (voir ci-avant analogie avec les chemins de fer). Leurs calories moyenne ou basse température sont de même nature que celles des chaudières thermiques à flammes ; ils sauront également dessaler de leau de mer, participant ainsi à résoudre lun des plus grands problèmes environnementaux du 21ème siècle : le manque deau douce. NB : à travers le monde on dessale chaque jour 30 millions de M3 deau.
Libéraliser le marché de lélectricité nimplique pas de privatiser loutil de production. Le parc nucléaire français nous est envié à travers le monde. Aurait-il pu être aussi vite et aussi bien construit hors lexistence dun électricien national ?
2ème Table ronde : le nucléaire est-il acceptable ?
Les prolongations de licences aux USA (de 40 à 60 ans) interviennent sur des réacteurs qui ne sont pas en fin de licence à beaucoup près (e.g : à Calvert Cliffs la prolongation intervient 20 ans avant lexpiration de la licence initiale) et qui, en moyenne, sont plus âgés que les réacteurs français. Cette anticipation des prolongations répond à un besoin de planification long terme.
Deux Questions :
- Peut-on en conclure que les réacteurs français, plus récents donc vraisemblablement encore mieux construits, ont toutes chances datteindre, voire de dépasser 60 ANS ?
- Peut-on en France comme cela se fait aux USA décider longtemps à lavance, dans le souci dune indispensable programmation à long terme, de la prolongation des licences dexploitation sous réserve, bien sûr, de révisions décennales ou quinquennales ?
Limportance pour lavenir des réacteurs rapides na pas, à notre avis, été suffisamment rappelée. Sur les 6 candidats réacteurs de " Generation IV ", comme la rappelé Jacques BOUCHARD, 3 sont des réacteurs à neutrons rapides. Questions : dans ce contexte de Generation IV un moratoire sur le démantèlement de SUPERPHENIX ne serait-il pas une décision raisonnable ? Ceci permettrait à notre pays de conserver, pour la stratégie tout au moins, une priorité certaine, et permettrait aussi de faire le point en récapitulant méthodiquement lexpérience tirée du projet SUPERPHENIX, expérience unique au monde.
Le déficit dinformation du grand public fut évoqué à plusieurs reprises. Lexcès de désinformation est une autre facette de ce problème. Lun des intervenants, Mr GOZHALI ancien Premier Ministre dAlgérie, a dailleurs, très justement, évoqué la volonté de " désinformer " et de " mal informer ". Nous pensons que, effectivement, lopinion a été fabriquée contre le nucléaire par des médias qui ont compris quil est plus facile de vendre de la peur que de la sérénité et que linformation objective est un art difficile et très exigeant en matière dhonnêteté intellectuelle. Ajoutons que les grands médias ont trop réservé leurs plateaux et leurs colonnes aux porteurs de discours politiquement corrects donc systématiquement anti-nucléaires.
Comme lavait dit Nicole Fontaine et la répété Jacques Bouchard, lINFORMATION objective est de la toute première importance et ce point doit être amélioré.
Nous pensons que le Gouvernement et aussi les sociétés impliquées dans lénergie nucléaire se doivent, sans complexes, dinformer les citoyens et les jeunes de manière simple et objective, même au risque dêtre taxés par certains de discours de " lobby ", car pour le moment lexpérience montre quil ne faut pas compter sur les médias pour passer des messages dénués de sous-entendus et dépassionnés.
Lénergie nucléaire a été développée avec une méthodologie exemplaire, sans doute parfois critiquable pour ses excès en matière dévaluation des risques et des effets à long terme. Luc FOULQUIER a dailleurs, fort à propos, rappelé quune unité de radio-écologie, ainsi désignée, a été créée au CEA dès la fin des années 50. Cest pourquoi les comparaisons entre les différentes sources dénergie doivent nécessairement être faites de façons identiques en prenant en compte les mêmes périodes de temps (milliers, millions dannées) que ce soit pour les conséquences des accidents, les stockages de déchets ou tout autre facteur. Il serait regrettable que leffort exceptionnel consenti en radio-protection et sûreté soit ainsi mal récompensé et soit interprété comme preuve de dangers importants.
En ce qui concerne le problème des assurances, il paraît difficile daffirmer que, uniquement dans le cas des centrales nucléaires, un système dassurance ne puisse être mis en place pour couvrir les dégâts éventuels. Est-ce une situation très différente de celle des usines chimiques, des transports maritimes (cf : plan POLMAR)
notamment si lon est contraint de prendre en compte, comme cela simposera probablement dici peu, les effets hypothétiques à long terme sur lhomme et son environnement (cf : ExternE) ?
Les expériences fort intéressantes relatées par des observateurs étrangers invités fort à propos à ce colloque confortent le recours à lénergie nucléaire.
A propos des déchets : Il est impératif de préciser que lobjectif de la R & D en matière de gestion de déchets ne consiste pas à trouver des solutions qui existent déjà mais plutôt à appliquer le principe de précaution pour réduire autant que faire se peut les impacts des stockages sur lhomme et son environnement. Les programmes, tels quils ont été présentés, ne peuvent quêtre source danxiété car ils nont pas été accompagnés de données sur les très faibles niveaux dexposition pour lhomme quel que soit le scénario crédible envisagé (comme la dailleurs utilement mentionné Madame ARDITI).
Le slogan " rien sous nos pieds " doit être combattu
Il faut citer lexistence des réacteurs naturels dOKLO (Gabon) et des déchets naturels associés dont le comportement, depuis 2 milliard dannées, est maintenant connu
et permet de rassurer quant au comportement à très long terme de stockages imparfaits.
Il convient enfin de dé-diaboliser les radio-nucléides de longue période et principalement le plutonium qui se révèle beaucoup moins nocif pour lhomme que certains radio-nucléides naturels comme le polonium présent partout à la surface du globe (nocivité potentielle due à cette retombée naturelle comparable à celle dun dépôt uniforme de 1kg de plutonium par kilomètre carré).
3ème table ronde : le nucléaire est-il décidable ?
1. En corollaire de la présentation de Denis-Jean GAMBINI sur la radioactivité et, entre autres considérations, sur la grande variabilité géographique de la radioactivité naturelle et limpossibilité didentifier les impacts sanitaires de cette variabilité, il serait intéressant que lANDRA indique son évaluation de limpact mSv au niveau du sol et en régime permanent dun éventuel stockage profond de déchets sur le site de BURE.
- Une remarque dun responsable du CNRS concernant le cycle du thorium, dont lutilisation produirait moins de déchets à vie longue, paraît illusoire, car, dans la suite des recyclages de la matière fissile (uranium-233), on aura une production dactinides mineurs comparable à celle du cycle de luranium-235. Ceci nexclura pas pour autant lutilisation du thorium par certains, comme cest le cas de lInde qui dispose de grandes quantités de thorium sur son sol.
- Lexpertise : Il serait sans doute utile davoir un débat sur lattitude que doivent adopter les véritables experts scientifiques. Doivent-ils, en particulier, ignorer les aspects politiques ? Si oui il serait intéressant de connaître ceux qui considèrent que lenfouissement des déchets dans des couches profondes et sous-marines (programme sea-bed de lOCDE " Esope " 1986) est inacceptable. Ne pas confondre cet enfouissement avec un simple rejet en mer, alors quil sagit dun stockage dans des zones non habitables à 70 m de profondeur dans des sédiments, sous 3000 mètres deau et à plusieurs milliers de kms des côtes. Ce nest pas une solution utopique.
- Les peurs : linfiniment petit devenant de plus en plus accessible et mesurable (microbes, virus, gênes, atomes
) en tout lieu, lhomme doit apprendre à contrôler ses peurs de façon rationnelle et ce, face aux cultivateurs de la peur dont le travail est ainsi grandement facilité. Lexpérience du vécu et lexistence de la radioactivité naturelle constituent indiscutablement des sources de repères indispensables pour apprécier limportance des risque encourus.
- Le nucléaire est " décidable " et sa permanence ne fait pas de doute. On se réfèrera à lexposé de Jean-Christophe LE DUIGOU (lu par Philippe LAZAR) et à la conclusion brillante dEmile MALET qui a clos ces échanges dun grand intérêt et généralement de haute tenue.
AEPN Jacques FROT Michel LUNG Jacques PRADEL
J. FROT ex-directeur à MOBIL OIL
M. LUNG, ex-directeur à SGN Ingénierie
J. PRADEL, ancien Inspecteur Général au CEA et ancien Président de la SFRP