Par Hervé Nifenecker, président de Sauvons le climat, et Claude Acket.
Accroissement du prix du pétrole, limitation des rejets de gaz carbonique dans l'atmosphère, tout conspire à la promotion des biocarburants. Elle se décline actuellement sous deux formes : l'éthanol (équivalent à l'essence) obtenu à partir de plantes dites sucrières ou céréalières. Il exige une distillation, opération fortement consommatrice d'énergie. Le biodiesel obtenu en pressant les graines d'oléagineux, qui demande beaucoup moins d'énergie. Ces deux voies, dites de première génération, ont en commun l'inconvénient de n'utiliser efficacement qu'une faible partie de la plante. La France s'est engagée à atteindre l'objectif de 5,75 % de biocarburants fixé par la Communauté européenne pour 2010. Les besoins de terrain agricole, s'ils restent limités pour le blé (augmentation de la surface cultivée de 5,4 %), sont plus significatifs pour la betterave (augmentation de la surface cultivée de 14 %) et très importants pour les oléagineux, puisqu'il faudrait plus que doubler les terres utilisées pour leur production. Que recouvre en fait cet objectif de 5,75% ? Au premier abord, on pourrait penser qu'incorporer 5,75 % de biocarburant dans le carburant automobile réduirait d'autant notre dépendance vis-à-vis des carburants importés. En fait, ce taux d'incorporation « brut » de 5,75 % ne prend pas en compte les dépenses énergétiques nécessaires à la production du biocarburant. Si celles-ci sont modérées pour le biodiesel, elles sont très élevées pour l'éthanol, rendant alors l'incorporation « nette » bien inférieure à 3 %. Certains experts considèrent, d'ailleurs, qu'il serait préférable d'utiliser directement le potentiel énergétique du blé sous forme de chaleur plutôt que sous forme de biocarburants. Le calcul de la production énergétique nette doit prendre en compte la dépense énergétique pour l'ensemble du cycle (distillation, machines agricoles, transports, engrais, irrigation...). Cette énergie, essentiellement d'origine fossile, conduit à de forts rejets de gaz à effet de serre. Le traitement de la plante produit d'une part les biocarburants mais aussi des résidus qui peuvent être utilisés comme aliments pour le bétail. C'est ce qu'on appelle les « sous-produits » ou « coproduits ». La détermination du rendement net conduit à des résultats très différents, selon la façon d'affecter une partie de l'énergie dépensée à ces sous-produits ou coproduits (d'une à deux tonnes de résidus pour chaque tonne de bioéthanol produite). Doit-on affecter une partie des dépenses en combustibles fossiles à ces coproduits, et de quelle manière ? La méthode dite du prorata massique répartit les dépenses énergétiques proportionnellement aux masses de tous les produits ; elle est simple, mais présente les biocarburants sous un angle trop favorable, car seule la production d'éthanol justifie l'utilisation de ces types d'aliments pour bétail. Un consensus international s'est donc dégagé pour refuser cette méthode et la remplacer par celle dites « des impacts évités ». À titre d'exemple, si le gain sur les rejets de CO2 est d'environ 60 % selon la méthode du prorata pour le blé et la betterave, il n'est que de 30 % avec celle des impacts évités. Pour un biocarburant dont on parle beaucoup, l'E85 (utilisé dans les moteurs « flex fuel »), le gain sur les rejets de CO2, calculé avec la méthode des impacts évités, n'est que de 24 %. Beaucoup d'espoirs sont mis dans les biocarburants de 2e génération. Ceux-ci peuvent être obtenus à partir des résidus d'origine agricole (paille des céréales...) et forestière (taillis, produits de première éclaircie...). Il est aussi envisageable de s'orienter vers des cultures spéciales comme les taillis à courtes rotations, les peupliers, le miscanthus, etc. Le périmètre des bioressources mobilisables serait ainsi élargi, ce qui permettrait d'éviter la compétition avec la filière alimentaire. En utilisant la totalité de la plante, non seulement on minimise l'appel à des sources d'énergies externes, en particulier fossiles, mais, surtout, on ne concurrence pas les cultures alimentaires. S'il faut poursuivre le développement de la filière des biocarburants, en pensant notamment à des filières plus prometteuses, il faudrait, avant de procéder à des investissements massifs dans les biocarburants de première génération, évaluer de façon précise les conséquences environnementales et alimentaires associées à leur production.