Ancien directeur de publication de la Revue "Naturellement", ancien secrétaire national du MNLE
(article initialement publié dans la Revue "Naturellement" n°71 et reproduit ici avec l'autorisation de la revue)
Les conséquences climatiques des modifications de leffet de serre produites principalement par les émissions anthropiques de gaz carbonique nécessitent de diminuer fortement (dau moins 70%) lutilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et de leur trouver des substituts. Lélectricité peut remplacer les combustibles fossiles dans la plupart des installations fixes (industries, chauffage ) qui sont responsables des 3/4 des émissions mondiales de CO2. La question se pose pour les carburants des véhicules de transport qui utilisent principalement le pétrole et le gaz naturel. Les transports jouent un grand rôle sur le plan économique mais ils sont responsables denviron un quart des émissions mondiales de CO2 (130 Mt par an en France). Comment lélectricité pourrait-elle être utilisée pour remplacer lessence ou le gazole, soit directement - cest le cas de la voiture électrique - soit indirectement par lhydrogène ?
La voiture électrique
La voiture électrique a lavantage de ne pas émettre de CO2 ni dautres polluants de latmosphère. Mais son développement se heurte au problème du stockage de lélectricité.
Les accumulateurs actuels ont un " rendement massique " déplorable : Il faut 70 kg de batterie au plomb pour stocker lénergie correspondant à un litre dessence et ceci en tenant compte du rendement du moteur électrique (80%) supérieur à celui du moteur thermique (30%). La voiture électrique, dans létat actuel de la technique, ne convient donc que pour de courts trajets et avec une charge utile faible. Supposons que le problème du stockage de lélectricité. En France, la seule consommation dessence est de 20 millions de tonnes par an : pour les remplacer, il faudrait fournir pour la recharge des batteries, 87 TWh délectricité, soit la production de 13 unités de 1000 MWe (centrales nucléaires, évidemment, car elles ne produisent pas de CO2) fonctionnant toute lannée à 80% de leur puissance nominale. Et il en faudrait autant pour remplacer le gazole. Ainsi, le développement de la voiture électrique nécessiterait une augmentation importante de la production délectricité. Au total près de 30 unités de 1000 MWe pour remplacer la consommation de carburants automobiles alors que le parc nucléaire actuel est composé de 57 unités.
Lhydrogène
Lhydrogène est utilisable dans les moteurs à la place de lessence, comme le GPL ou le méthane (gaz naturel). Mais lhydrogène est un gaz dangereux : il forme avec lair des mélanges détonnants dans une large gamme de concentration (de 4% à 74%). Sur le plan de la pollution, le moteur à hydrogène présente de gros avantages sur le moteur à essence car, sil émet de la vapeur deau, il ne produit pas démissions de produits carbonés (ni monoxyde de carbone et hydrocarbures, principaux polluants des villes, ni de CO2). Les émissions contiennent cependant des oxydes dazote qui se forment, à haute température par réaction entre loxygène et lazote de lair. Ces émissions doxydes dazote nont pas deffets sur la santé de la population aux concentrations qui pourraient être atteintes. Au contraire, même, jusquà une concentration de 1000 m g de NO2 par m3 dair, le dioxyde dazote (NO2) a un effet favorable sur la fonction respiratoire . Une telle concentration nest pratiquement jamais dépassée.
Stockage de lhydrogène
Lhydrogène brûle dans lair pour former de leau H2 + 1/2 O2 -> H2O. La chaleur de réaction est de 29,15 kcalories par gramme (121,8 kjoules par gramme). Ainsi 0,343 g dhydrogène a la même capacité calorifique que 1g dessence (10 kcalories par gramme).
Compte tenu de la basse température de liquéfaction de lhydrogène (- 259°C) et surtout, de la température critique (- 240°C, cest à dire la température au-dessus de laquelle lhydrogène ne peut être à létat liquide, quelle que soit la pression), lhydrogène ne peut être stocké à létat liquide que dans les installations fixes et non sur des véhicules comme il en est pour le GPL.
Pour les véhicules, lhydrogène peut être stocké sous pression comme il en est pour le gaz naturel mais sa faible densité est un inconvénient. Par exemple, examinons le cas du remplacement par lhydrogène de 20 litres dessence (soit environ 15 kg) ce qui conduit à une autonomie double de celle dune voiture électrique : il faut 15 <-> 0,343 = 5,15 kg dhydrogène, ce qui occupe, à pression atmosphérique, un volume de 62 m3 ou 160 litres sous pression de 400 bars. Le poids du conteneur serait de plusieurs centaines de kg.
En comparaison avec le gaz naturel, il faudrait 12,5 kg de GN dont la densité est de 0,67 g par litre. Le volume serait donc de 18,6 m3 à pression atmosphère ou de 47 litres sous 400 bars, soit un volume 3,4 fois plus faible que pour lhydrogène (et aussi pour le poids du conteneur).
Lhydrogène peut aussi être " stocké " sous forme dhydrure que lon obtient par réaction de lhydrogène sur certains métaux. Il peut ensuite être libéré par action de leau ou par chauffage.
Par exemple lhydrure de calcium par action de leau donne la réaction :
CaH2 + 2 H2O -> Ca(OH)2 + 2H2.
Cet hydrure a déjà été utilisé sous le nom dhydrolithe mais on ne récupère pas le calcium dont la fabrication est coûteuse.
Lhydrure de magnésium MgH2 est particulièrement intéressant car lhydrogène peut être récupéré par chauffage MgH2 -> Mg + H2.
Pour contenir les 5,15 kg dhydrogène de lexemple cité précédemment, il suffirait de 67 kg dhydrure (au lieu et place de 15 kg dessence). Il semble que les hydrures fassent lobjet de recherches pour de telles applications.
Production dhydrogène
Lhydrogène peut être produit par électrolyse ou par méthode chimique.
a) Production par électrolyse
Par électrolyse de leau, on a la réaction H2O -> H2 + 1/2 O2 (e = 1,23 volts)
Pour produire 1 g dhydrogène il faut 96 500 coulomb, soit avec une tension de 1,23 volt : 96 500 <-> 1,23 = 118,7 kjoules. Cette valeur est très voisine de la chaleur de combustion de lhydrogène. Le rendement énergétique serait donc de 100% sil ny avait pas la surtension de lhydrogène (2,4 volts) et les pertes par effet joule. Pratiquement, le rendement de lélectrolyse est, au mieux, de 40%.
Aussi, pour produire 1 g dhydrogène, il faudra fournir 118,7/0,4 = 296,8 kjoules (soit 82,4 Wh). Pour produire une tonne dhydrogène, il faudra donc 82,4 MWh.
Pour remplacer les 20 millions de tonnes dessence consommées par an en France, il faudrait disposer de 565 TWh alors quactuellement la consommation française annuelle délectricité est denviron 450 TWh. Pour fournir une telle électricité il faudrait 80 unités de 1 000 MWe (nucléaires évidemment). En plus de la construction de ces 80 centrales, il faudrait aussi réaliser les électrolyseurs pour lesquels des problèmes techniques sont encore à résoudre, notamment celui des électrodes Pour produire lhydrogène en remplacement des 20 Mt de gazole consommés par an, en France, il faudrait aussi lénergie de 80 centrales de 1000 MW.
Au total, pour remplacer les carburants, essence et gazole, il faudrait une puissance électrique installée de 1 600 GW (le parc nucléaire actuel est de 600 GW environ).
Remarque : la pile à combustible, fonctionnant à lhydrogène et lair, est parfois citée pour remplacer le moteur thermique. Le rendement est théoriquement supérieur à celui du moteur thermique mais il faut aussi tenir compte de lénergie nécessaire pour les équipements annexes. Même en supposant résolus tous les problèmes techniques, la pile à combustible présente des inconvénients, celui du prix et, surtout, le poids qui est, au moins, dix fois celui du moteur thermique.
b) Production dhydrogène par méthode chimique
Cest la méthode utilisée dans lindustrie chimique, très consommatrice dhydrogène, plutôt que par électrolyse pour des questions de coût. Deux méthodes sont utilisées :
Lhydrogène produit par ces réactions peut être séparé des autres gaz (CO2, azote, ) par liquéfaction fractionnée ou par méthode chimique dans le cas du premier procédé.
Le procédé au " gaz à leau " ou procédé Fischer-Tropsch a été utilisé en Allemagne pendant la dernière guerre et récemment en Afrique du Sud, pour la fabrication dessence.
Pratiquement seule la production dhydrogène par la méthode du " gaz à leau ", à partir du charbon dont les réserves sont importantes est intéressante. Pour remplacer les 40Mt dessence et gazole consommés par an en France, il faudrait fabriquer 13,7 millions de tonnes dhydogène. Les émissions de CO2 serait de 201 millions de tonnes soit 60% de plus que le CO2 émis par la combustion des 40 millions de tonnes dessence et de gazole. Ainsi, ceci conduirait à une augmentation de leffet de serre. On aboutit à linverse du but recherché.
Conclusion
On voit quil ny a pas de solution évidente et simple pour remplacer les carburants fossiles utilisés actuellement dans le secteur des transports. Il faut mettre en uvre toutes les mesures possibles daugmenter lefficacité des utilisations de lénergie et poursuivre les recherches pour améliorer les techniques citées ci-dessus. Une conception malthusienne qui prônerait lidée quil est impossible de répondre aux besoins et la mettrait en uvre sous forme de restrictions aurait des conséquences sociales (et écologiques) bien plus graves et plus rapides que la lente augmentation de la température due à leffet de serre. En attendant le jour où, peut-être, on saura maîtriser lénergie thermonucléaire de la fusion de lhydrogène (ou plutôt, du deutérium) cest le nucléaire de fission (uranium et thorium avec mise en uvre des surgénérateurs) et, à un degré mondial, lhydroélectricité qui peuvent apporter les moyens de produire de lénergie en quantité suffisante pour les besoins actuels et futurs de la population mondiale.
Mais ce nest malheureusement pas dans cette voie que les pouvoirs publics semblent sorienter en capitulant devant la minorité dopposants à lénergie nucléaire et à la construction de barrages hydrauliques.
Cest à léchelle mondiale que des mesures devront être prises pour combattre leffet de serre qui, inéluctablement, continuera à augmenter pendant longtemps. A léchelle régionale, il faut prévoir des " scénarios dadaptation " pour se prémunir contre la conséquence la plus grave de laugmentation de température : laugmentation de la pluviosité et les modifications du régime des pluies.
Indépendamment de leffet de serre, il faut aussi penser à ce que serait la situation des populations lorsque seront épuisées les ressources en combustibles fossiles. A ce sujet, le professeur Fidel Castro Diaz-Balart écrit : " Comment les opposants à lénergie nucléaire pourront-ils justifier leur position actuelle devant les générations futures lorsque les lumières séteindront ? ".
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- André Salaün : " Pollution atmosphérique ", Ecologie et progrès, Editions naturellement, pp181-236, 1997
- "Energie nucléaire : danger pour lenvironnement ou solution pour le 21ème siècle" par Fidel Castro Diaz-Balart. Editions Naturellement (septembre 2001)