LE LOURD DOSSIER SUPERPHENIX

 

 

par Michel LUNG, membre de l’AEPN

 

 

_________________________

 

 

 

- L'IDEOLOGIE ANTINUCLEAIRE SOUTENUE PAR DES INTERÊTS ETRANGERS

 

 

- LA RECUPERATION POLITIQUE ET LA DESINFORMATION DU PUBLIC

 

 

_______

 

 

L'intérêt des réacteurs à neutrons rapides du type Phénix et Superphénix est vite apparu comme élément essentiel d'indépendance énergétique, de bénéfice pour l'environnement et de développement durable.

Un réacteur de ce type présente de très grands avantages :

- d'économie : pour une puissance de 1000 MW, il lui faut 2 t/an d'uranium naturel, contre 150 t/an pour les réacteurs actuels. C'est un champion du développement durable.

- de souplesse : il peut utiliser toutes sortes de combustibles, n'a pas besoin d'uranium enrichi et fonctionne avec de l'uranium naturel ou appauvri, du plutonium civil ou militaire. Il peut "brûler" du plutonium ou au contraire en générer à partir de l'uranium naturel, d'où le nom de surgénérateur. Il peut même brûler une grande partie des déchets produits par les autres réacteurs et de ses propres déchets.

- de propreté : 3 à 5 fois moins de rejets et de déchets par rapport aux réacteurs à eau, encore moins de radiations et la possibilité de brûler ou "transmuter" les déchets à vie longue.

- de sûreté : l'Autorité de Sûreté Française a confirmé que Superphénix est aussi sûr que les autres réacteurs du parc nucléaire.

En 1974, après le choc pétrolier, la décision fut prise de construire Superphénix au de 1350 MW vu du fonctionnement impeccable du réacteur Phénix de 250 MWe.

En avril 1976, le Premier Ministre Jacques Chirac autorise la Société NERSA (France 51 %, Italie 33 %, RFA-Benelux 16 %) à passer commande de Superphénix. Le Président de la République Giscard d'Estaing déclare "qu'avec ce type de réacteurs et ses réserves en uranium, la France disposera d'autant d'énergie que l'Arabie Saoudite avec tout son pétrole".

Est-ce cette déclaration - parfaitement justifiée - qui a déclenché les hostilités contre Superphénix et les réacteurs rapides en particulier, et contre le nucléaire en général? Superphénix est devenu depuis la cible des antinucléaires et les campagnes de dénigrement se sont abattues sans répit sur le projet : dangerosité "absolue" du plutonium, danger des transports de matières radioactives, danger du retraitement, danger des combustibles au plutonium ("MOX"), danger permanent des déchets, coût aberrant du projet (payé par NERSA !), risques de feux et d'explosion du sodium et du réacteur. L'accident de Tchernobyl en avril 1986 a, bien sûr, été exploité à fond.

On remarquera que Greenpeace qui fut fondée à Seattle en 1972 comme association pacifiste, fut vite récupérée par un chef charismatique et sulfureux, et transformée en groupe international antinucléaire, aux moyens économiques puissants qui visiblement ne provenaient pas seulement des dons de ses adhérents.

Il est surprenant qu'en juillet 1976 un millier de manifestants français et étrangers aient été rassemblés sur le site prévu de Creys-Malville, et qu'un an plus tard, en juillet 1977, plusieurs dizaines de milliers de manifestants très échauffés, dont une grande proportion d'étrangers, se heurtent aux forces de l'ordre sur le site nouvellement ouvert (1 mort et 1 blessé grave). Il est encore plus surprenant qu'en janvier 1982, nuitamment, à la fin de la construction, une salve de roquettes ait été tirée depuis l'autre rive du Rhône par des professionnels : une roquette a pénétré et explosé dans l'enceinte du réacteur par une ouverture laissée pour la construction, qui n'a heureusement pas fait de victime.

Le réacteur Superphénix a divergé en septembre 1985. Deux incidents notoires ont émaillé son fonctionnement (corrosion du "barillet de chargement" et oxydation du sodium), mais ils n'ont à aucun moment touché la partie nucléaire du réacteur ni nui à sa sûreté. Ce genre de problème est parfaitement normal pour un prototype, qui a toujours besoin d'être perfectionné, comme cela était aussi le cas sur les premières centrales nucléaires actuelles.

Des avatars et hésitations gouvernementaux nombreux ont ralenti singulièrement l'exploitation du réacteur, les gouvernements successifs hésitant devant l'impact de la propagande antinucléaire, les recours au Conseil d'Etat par les groupes antinucléaires, l'accident de Tchernobyl, le feu de sodium du réacteur japonais Monju (sans impact sur l'environnement).

Au total, en 11 ans, l'installation a fonctionné pendant 53 mois, a été en réparations pendant 25 mois et a été arrêtée 54 mois pour des raisons administratives. A aucun moment Superphénix n'a mis l'environement en danger. En 1996, le coefficient de disponibilité a été supérieur à celui de la moyenne des autres réacteurs français.

Il était prévu d'arrêter le réacteur fin décembre 1996 pour agencer le coeur de façon à pouvoir procéder à des expériences d'incinération de plutonium et de déchets à vie longue. En février 1997 le Conseil d'Etat saisi par des associations antinucléaires dont WWF en Suisse, sur instruction par le Cabinet Huglo-Lepage, a ordonné l'arrêt de Superphénix pour vice de forme du décret de remise en route de 1974.

Dès lors l'engrenage de mise à mort était lancé :

Le 1er juin 1997, Lionel Jospin remplace Alain Juppé. Mme Voynet annonce ce même jour que Superphénix est condamné. L'Administrateur Général du CEA (qui n’était pas partie prenante dans Superphenix) propose sa coopération pour le démantèlement. Le 19 juin, le Premier Ministre confirme l'arrêt définitif du réacteur pour des raisons de "coût excessif et d'une utilité qui n'est plus démontrée". Le 2 février 1998, un Comité Interministériel entérine la décision. Le 20 avril, les ministres concernés demandent à NERSA d'engager la procédure d'arrêt définitif, les Administrateurs français R. Carle et P. Bacher démissionnent en raison de leur désaccord. Le 31 décembre, le Premier Ministre décrète (?) la passation de propriété de NERSA à EDF (qui supportera désormais seule les frais de dédommagement et de mise à l'arrêt).

Des recours en référé d'associations de défense de Superphénix auprès du Conseil d'Etat sont rejetés par ce dernier en mars 1999 et tous les points des requêtes sont définitivement rejetés en janvier 2000 et notifiés en mars au public.

Entre temps, le démantèlement de Superphénix a commencé dès octobre 1999, camouflé sous le jargon MSHD (Mise Hors Service Définitif) qui ne correspond pas aux termes de la législation en vigueur. Le Gouvernement actuel qui a fait approuver des textes préconisant la réalisation d'une Enquête Publique préalablement au démantèlement, se garde bien dans ce cas de suivre sa propre législation !

En novembre 2000 la "MSHD" s'apparente de plus en plus à un démantèlement en bonne et due forme : cisaillage des cables électriques, déconnection des tuyauteries, nombreux composants retirés du coeur, enlèvement d'une centaine d'assemblages combustibles. Le Premier Ministre signe un décret autorisant la dissolution de NERSA. Le cycle est bouclé, le tour est joué.

On notera qu'au cours de l'année 1998 de nombreuses interventions du Sénat, de l'Assemblée Nationale et du Conseil Economique et Social ont réclamé une révision de la position du Gouvernement concernant l'arrêt de Superphénix, sans résultat. En particulier on retiendra les conclusions des auditions de l'Enquête Parlementaire sur la fermeture du réacteur en juin 1998 (Rapport n° 1018) dont nous reproduisons des extraits ci-joint.

Le coût excessif évoqué se fonde sur un rapport de la Cour des Comptes qui ne tient pas compte des ventes d'électricité du réacteur s'il était laissé en fonctionnement. Comment se fait-il que ce coût, supporté par NERSA, n'ait pas fait renoncer les actionnaires étrangers, éjectés sans égard par le décret Jospin ?

L'inutilité du projet ne manque pas de sel au moment où l'on ne parle que de développement durable, d'effet de serre et de besoins d'énergie pour les pays en développement et où Inde, Chine, Japon, Russie continuent à développer les réacteurs rapides.

 

CONCLUSION

L'arrêt de Superphénix est un scandale :

- Scandale de gouvernement où un Premier Ministre a sacrifié une technique de pointe française à des desseins électoralistes, faisant régresser notre pays pour de longues années dans le domaine des réacteurs avancés et du développement propre et durable de l'énergie dont la planète a besoin,

- Scandale moral où l'on a présenté l'arrêt de Superphénix sous des prétextes fallacieux,

- Scandale éthique où responsables scientifiques haut placés se sont alignés sur l'autorité des gouvernants sans oser émettre d'objections,

- Scandale économique où le Gouvernement fait peser sur les citoyens les frais de l'arrêt et ses conséquences financières alors qu'ils étaient à la charge des actionnaires français et étrangers de NERSA déboutés sans scrupule, et auraient pu être largement couverts par les ventes d'électricité si Superphénix avait continué à fonctionner. Il s'agit de dizaines de milliards, sans compter le manque à gagner des prochaines décennies.

Ces pratiques sont irrecevables et sont à porter au passif du gouvernement Jospin.

Si l'on cherchait une excuse, on serait tenté de dire que l'antinucléarisme viscéral d'une minorité a été exploité par des intérêts totalement étrangers aux desseins de la France, favorisé et médiatisé par l'accident "soviétique" de Tchernobyl, et que certains scientifiques et dirigeants de la France sont tombés dans le piège. La responsabilité du Gouvernement français qui a ordonné l'arrêt de Superphénix reste entière.

 

_______

 

 

"Le surgénérateur est parmi les technologies en gestation l'une des plus prometteuses en termes d'indépendance"

Laurent Fabius, Ministre de l'Industrie, janvier 1984

 

 

"Les problèmes juridiques à régler pesent peu au regard des objectifs"

Les sénateurs R.I., octobre 1997

 

 

"L'abandon de Superphénix est une erreur historique"

Jacques Valade, ancien Ministre de la Recherche

Vice-Président du Sénat, 17 février 1998

 

"Si le redémarrage de Phénix et une bonne chose, ce serait, en revanche, une erreur de le prévoir sans Superphénix... Abandonner Superphénix aujourd'hui, je le comprendrais mal"

Hubert Curien, ancien Ministre de la Recherche, Membre de l'Académie des Sciences, Audition à la Commission d'Enquête Parlementaire sur Superphénix,

Rapport Galley-Bataille, juin 1998

 

 

"Les responsables comme les salariés regrettent qu'il n'y ait pas eu de débat"

Alain Moyne-Bressand, Député de l'Isère, Enquête Parlementaire, ibid.

 

 

"La décision d'abandon de Superphénix a été une lourde erreur"

Vote RPR, conclusion de l'Enquête Parlementaire

Galley-Bataille sur Superphénix, ibid.

 

 

"Cette décision est une erreur"

Vote UDF Alliance et DL, Enquête Parlementaire, ibid.

 

 

"Ainsi donc, Superphénix sera abandonné... D'inéluctable à moyenne échéance, son arrêt est désormais irréversible"

Christian Bataille, socialiste, Rapporteur de l'Enquête Parlementaire, ibid.

 

 

"Le rapport et la conclusion du Rapporteur ne reflètent pas les discussions, ni le caractère des auditions. Je suis pour la continuation de Superphénix"

Roger Meï, Député du Groupe Communiste, Enquête parlementaire, ibid.

 

 

____________