Séminaire du 14 janvier 2003

" L’électronucléaire face à l’évolution du marché de l’électricité "
centré sur la présentation de Monsieur Jean BERGOUGNOUX

 

Contribution de Jacques FROT

AEPN Association de Ecologistes Pour le Nucléaire

 

Profitant de la plate-forme d’expression que vous offrez, je vous soumets quelques points dont je reconnais que certains sont " hors sujet " et ne se rattachent que secondairement à la réunion-débat du 14 janvier.

01. Investissement et coût de production, indépendance énergétique

Pour compléter par quelques chiffres l’approche principalement qualitative qu’en a faite Monsieur BERGOUGNOUX je vous joins, en fichier attaché une diapo ppt sur les coûts internes de production d’électricité par source. Et pour tenter de mettre un chiffre derrière les incertitudes relatives au prix du gaz naturel rappelons qu’il suit celui du pétrole avec une hystérésis de quelques mois et que le prix de pétrole -très volatil depuis 30 ans voir courbe jointe - fut multiplié par 4,5 (de 2 à 9 $/baril) en quelques jours en 1973, qu’il passa en quelques mois de 10 à 40 $ en 1979-80 (avant de fluctuer de + ou &emdash; 50% autour de 20 $) et de flamber à nouveau en 1998-99 de 10 à 30 $.

Les comparaisons de coûts du kWh nucléaire vs gaz dans les choix d’investissement ne sont pas, dans un tel contexte, pertinentes.

Retenons cependant que si le prix du gaz est multiplié par 3 celui du kWh gaz est multiplié par 2,5 (= + 150%) ; si le prix du minerai d’uranium est multiplié par 3, celui du kWh nucléaire est multiplié par 1,1 (= + 10%) : le coût du kWh nucléaire est, moins que tout autre kWh " carboné ", dépendant du contexte géopolitique.

Ajoutons, en corollaire, qu’il y a de l’uranium sur le territoire français alors qu’il n’y a quasiment plus de gaz : le nucléaire est, pour la France, un facteur d’indépendance énergétique.

 

02. Durabilité

Bien que ce point soit quelque peu hors du sujet de ce séminaire on ne peut l’ignorer complètement. En ce qui concerne le gaz, la durabilité est limitée par 2 facteurs : (1) le risque de changement climatique, incertain, inchiffrable mais suffisamment menaçant pour que l’on fasse " comme si " (précaution) et (2) les ressources mondiales de gaz -quelques décennies, disons 1 siècle- paramètre auquel il faut ajouter en corollaire le risque géopolitique associé à la localisation des ressources. En toutes circonstances les ressources ultimes sont trop modestes pour qu’on utilise le gaz à faire de l’électricité ou de la chaleur alors qu’il peut être, pour des millénaires, " gelée royale de la chimie ".

Du côté de l’uranium 1 facteur de limitation de la durabilité: quelques siècles de ressources mondiales avec des réacteurs à neutrons thermiques si l’on accepte de multiplier par quelques unités (par 4 par exemple) le coût d’accès au minerai : impact modeste sur le coût du kWh (voir §1).

Et ces quelques siècles deviennent quelques millénaires si l’on développe la filière à neutrons rapides (après que la France ait, pour des raisons qui m’échappent, éliminé Super-Phénix et restauré Phénix).

Il se dit et s’écrit que le Thorium 232 (combustible fertile) est 3 fois plus abondant que l’uranium.

Si les hommes s’y prennent bien ils ont des millénaires d’énergie avec le nucléaire, s’ils s’y prennent mal quelques décennies, peut-être un siècle avec le gaz.

Il serait donc bon qu’ils prennent les dispositions utiles, réglementaires ou autres, pour freiner le développement de " l’électricité gazière " au profit de l’électricité nucléaire.

 

03. L’internalisation des coûts externes

Le non spécialiste que je suis s’autorise à penser que l’étude ExternE, commandée par la Commission Européenne, n’a pas été conduite pour le seul plaisir intellectuel des experts des 15 pays de l’UE qui en furent chargés. Je m’autorise à penser que les coûts externes seront " internalisés " d’une façon ou de l’autre dans un avenir proche, l’échéance coïncidant avec la mise en évidence des preuves du danger climatique qui nous guette . Lorsque les coûts externes seront pris en compte le nucléaire sera compétitif avec un gaz quasiment gratuit et qui n’en prend pas le chemin.

Il n’en reste pas moins qu’une centrale à gaz peut être amortie face à la solution nucléaire avant que soient internalisés les coûts externes (sanitaires et environnementaux).

 

04. A propos de la durée de vie

Il est normal que l’autorité de sûreté soit prudente sur ce sujet : elle n’a pas été instituée pour prendre des risques.

Mais les décideurs, ceux qui font le choix de l’investissement, ont, eux, pour mission de prendre des risques éclairés.

Les USA (la NRC) délivrent depuis mi-2001 des prolongations à 60 ans de licences d’exploitation dont certaines pour des réacteurs dont la licence initiale a encore 20 ans à vivre. Or les réacteurs des USA furent construits, dans l’ensemble, avant les réacteurs français. Ces derniers bénéficient donc d’améliorations par rapport à leurs frères aînés et l’on ne voit pas pour quelle raison de principe ils ne pourraient fonctionner 60 ans…au minimum. Des japonais prononcent le chiffre de 80 ans. Je trouve passés de mode les discours prudents du type " nos réacteurs vivront peu-être 40 ans "

 

05. Ouverture du capital et libéralisation du marché

Le libéral que je suis n’est un fanatique ni des entreprises publiques, ni des monopoles, encore moins des monopoles étatiques.

Il faut néanmoins reconnaître que notre nucléaire civil, qui nous est envié à travers le monde, aurait été une aventure inimaginable, impossible si EDF, monopole étatique, n’avait pas existé.

L’électronucléaire n’est qu’à l’aube de son histoire ; on peut croire que, de chaos en soubresauts, il survivra, progressera et se perpétuera : depuis l’aube de l’ère industrielle (mi 18ème siècle) le monde a connu l’ère du charbon, puis celle du pétrole tellement plus commode à utiliser ; les tarissements du pétrole et du gaz mettront vraiment le monde sur les rails d’une nouvelle ère énergétique l’ère du nucléaire, nécessité faisant loi. Le développement mondial du charbon n’est crédible et ne sera que transitoire (virage du développement : quelques décennies) et limité aux PVD. Notre pays doit donc demeurer capable de perpétuer son nucléaire.

Mais le nucléaire n’est pas sans poser de problèmes spécifiques et nouveaux : sécurité, lourdeur des investissements.

Le poids des investissements est d’une dimension analogue à ceux du pétrole (exploration, production, transports, raffinage) que de grands groupes ont su risquer, entreprendre et mener à bien : ceci à une époque où la pression des médias et de l’opinion n’avait rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui. Le " pétrole privé " est entré dans les mœurs françaises. Je doute que le " nucléaire privé " puisse y entrer aussi facilement.

Certes l’ouverture du capital -qui, à ma connaissance, n’est pas exigée par Bruxelles, au contraire de la libéralisation du marché- peut être modeste et, de toutes façons, n’impliquera pas la perte de contrôle de l’État. On peut penser que celui-ci devra continuer à garantir les emprunts.

En résumé je ne vois pas bien en quoi l’ouverture du capital de EDF est un facteur favorable à la pérennité (souhaitable) du nucléaire en France. Quant à une privatisation complète elle apporterait probablement une plus grande efficacité de fonctionnement; mais elle engendrerait aussi, pour des considérations de temps de retour exigé par les investisseurs privés, un handicap rédhibitoire pour de nouveaux investissements dans le nucléaire.

 

06. La France parmi les leaders du nucléaire

La France est un des leaders mondiaux du nucléaire. Il serait bon qu’elle le reste. Il serait dommage qu’elle perde sa place de leader au profit de pays comme le Japon ou la Corée du Sud par exemple. Garder sa place de leader dans l’électronucléaire implique, pour la France, que perdure l’implication de l’Etat.

 

07. Perfidie : Exportation des déchets

Un intervenant a demandé, perfidement, si la France exportait les déchets nucléaires associés à la production de l’électricité qu’elle exporte. Sur le même registre -et de façon aussi perfide- on pourrait répondre que la France n’exporte que de l’électricité non nucléaire (70 TWh/an c’est à peu près la part non nucléaire de notre électricité). Ou plus sérieusement dire qu’il en est de l’électricité comme de toute autre production industrielle : le fabricant fait son affaire des déchets. A la différence que des déchets nucléaires il y en a 100 fois moins.

 

Jacques FROT

  • Animateur de GR.COM

    AEPN

    15 janvier 2003