" Lélectronucléaire
face à lévolution du marché de
lélectricité "
centré sur la présentation de Monsieur Jean
BERGOUGNOUX
AEPN Association de Ecologistes Pour le Nucléaire
Profitant de la plate-forme dexpression que vous offrez, je vous soumets quelques points dont je reconnais que certains sont " hors sujet " et ne se rattachent que secondairement à la réunion-débat du 14 janvier.
01. Investissement et coût de production, indépendance énergétique
Pour compléter par quelques chiffres lapproche principalement qualitative quen a faite Monsieur BERGOUGNOUX je vous joins, en fichier attaché une diapo ppt sur les coûts internes de production délectricité par source. Et pour tenter de mettre un chiffre derrière les incertitudes relatives au prix du gaz naturel rappelons quil suit celui du pétrole avec une hystérésis de quelques mois et que le prix de pétrole -très volatil depuis 30 ans voir courbe jointe - fut multiplié par 4,5 (de 2 à 9 $/baril) en quelques jours en 1973, quil passa en quelques mois de 10 à 40 $ en 1979-80 (avant de fluctuer de + ou &emdash; 50% autour de 20 $) et de flamber à nouveau en 1998-99 de 10 à 30 $.
Les comparaisons de coûts du kWh nucléaire vs gaz dans les choix dinvestissement ne sont pas, dans un tel contexte, pertinentes.
Retenons cependant que si le prix du gaz est multiplié par 3 celui du kWh gaz est multiplié par 2,5 (= + 150%) ; si le prix du minerai duranium est multiplié par 3, celui du kWh nucléaire est multiplié par 1,1 (= + 10%) : le coût du kWh nucléaire est, moins que tout autre kWh " carboné ", dépendant du contexte géopolitique.
Ajoutons, en corollaire, quil y a de luranium sur le territoire français alors quil ny a quasiment plus de gaz : le nucléaire est, pour la France, un facteur dindépendance énergétique.
02. Durabilité
Bien que ce point soit quelque peu hors du sujet de ce séminaire on ne peut lignorer complètement. En ce qui concerne le gaz, la durabilité est limitée par 2 facteurs : (1) le risque de changement climatique, incertain, inchiffrable mais suffisamment menaçant pour que lon fasse " comme si " (précaution) et (2) les ressources mondiales de gaz -quelques décennies, disons 1 siècle- paramètre auquel il faut ajouter en corollaire le risque géopolitique associé à la localisation des ressources. En toutes circonstances les ressources ultimes sont trop modestes pour quon utilise le gaz à faire de lélectricité ou de la chaleur alors quil peut être, pour des millénaires, " gelée royale de la chimie ".
Du côté de luranium 1 facteur de limitation de la durabilité: quelques siècles de ressources mondiales avec des réacteurs à neutrons thermiques si lon accepte de multiplier par quelques unités (par 4 par exemple) le coût daccès au minerai : impact modeste sur le coût du kWh (voir §1).
Et ces quelques siècles deviennent quelques millénaires si lon développe la filière à neutrons rapides (après que la France ait, pour des raisons qui méchappent, éliminé Super-Phénix et restauré Phénix).
Il se dit et sécrit que le Thorium 232 (combustible fertile) est 3 fois plus abondant que luranium.
Si les hommes sy prennent bien ils ont des millénaires dénergie avec le nucléaire, sils sy prennent mal quelques décennies, peut-être un siècle avec le gaz.
Il serait donc bon quils prennent les dispositions utiles, réglementaires ou autres, pour freiner le développement de " lélectricité gazière " au profit de lélectricité nucléaire.
03. Linternalisation des coûts externes
Le non spécialiste que je suis sautorise à penser que létude ExternE, commandée par la Commission Européenne, na pas été conduite pour le seul plaisir intellectuel des experts des 15 pays de lUE qui en furent chargés. Je mautorise à penser que les coûts externes seront " internalisés " dune façon ou de lautre dans un avenir proche, léchéance coïncidant avec la mise en évidence des preuves du danger climatique qui nous guette . Lorsque les coûts externes seront pris en compte le nucléaire sera compétitif avec un gaz quasiment gratuit et qui nen prend pas le chemin.
Il nen reste pas moins quune centrale à gaz peut être amortie face à la solution nucléaire avant que soient internalisés les coûts externes (sanitaires et environnementaux).
04. A propos de la durée de vie
Il est normal que lautorité de sûreté soit prudente sur ce sujet : elle na pas été instituée pour prendre des risques.
Mais les décideurs, ceux qui font le choix de linvestissement, ont, eux, pour mission de prendre des risques éclairés.
Les USA (la NRC) délivrent depuis mi-2001 des prolongations à 60 ans de licences dexploitation dont certaines pour des réacteurs dont la licence initiale a encore 20 ans à vivre. Or les réacteurs des USA furent construits, dans lensemble, avant les réacteurs français. Ces derniers bénéficient donc daméliorations par rapport à leurs frères aînés et lon ne voit pas pour quelle raison de principe ils ne pourraient fonctionner 60 ans au minimum. Des japonais prononcent le chiffre de 80 ans. Je trouve passés de mode les discours prudents du type " nos réacteurs vivront peu-être 40 ans "
05. Ouverture du capital et libéralisation du marché
Le libéral que je suis nest un fanatique ni des entreprises publiques, ni des monopoles, encore moins des monopoles étatiques.
Il faut néanmoins reconnaître que notre nucléaire civil, qui nous est envié à travers le monde, aurait été une aventure inimaginable, impossible si EDF, monopole étatique, navait pas existé.
Lélectronucléaire nest quà laube de son histoire ; on peut croire que, de chaos en soubresauts, il survivra, progressera et se perpétuera : depuis laube de lère industrielle (mi 18ème siècle) le monde a connu lère du charbon, puis celle du pétrole tellement plus commode à utiliser ; les tarissements du pétrole et du gaz mettront vraiment le monde sur les rails dune nouvelle ère énergétique lère du nucléaire, nécessité faisant loi. Le développement mondial du charbon nest crédible et ne sera que transitoire (virage du développement : quelques décennies) et limité aux PVD. Notre pays doit donc demeurer capable de perpétuer son nucléaire.
Mais le nucléaire nest pas sans poser de problèmes spécifiques et nouveaux : sécurité, lourdeur des investissements.
Le poids des investissements est dune dimension analogue à ceux du pétrole (exploration, production, transports, raffinage) que de grands groupes ont su risquer, entreprendre et mener à bien : ceci à une époque où la pression des médias et de lopinion navait rien à voir avec ce quelle est aujourdhui. Le " pétrole privé " est entré dans les murs françaises. Je doute que le " nucléaire privé " puisse y entrer aussi facilement.
Certes louverture du capital -qui, à ma connaissance, nest pas exigée par Bruxelles, au contraire de la libéralisation du marché- peut être modeste et, de toutes façons, nimpliquera pas la perte de contrôle de lÉtat. On peut penser que celui-ci devra continuer à garantir les emprunts.
En résumé je ne vois pas bien en quoi louverture du capital de EDF est un facteur favorable à la pérennité (souhaitable) du nucléaire en France. Quant à une privatisation complète elle apporterait probablement une plus grande efficacité de fonctionnement; mais elle engendrerait aussi, pour des considérations de temps de retour exigé par les investisseurs privés, un handicap rédhibitoire pour de nouveaux investissements dans le nucléaire.
06. La France parmi les leaders du nucléaire
La France est un des leaders mondiaux du nucléaire. Il serait bon quelle le reste. Il serait dommage quelle perde sa place de leader au profit de pays comme le Japon ou la Corée du Sud par exemple. Garder sa place de leader dans lélectronucléaire implique, pour la France, que perdure limplication de lEtat.
07. Perfidie : Exportation des déchets
Un intervenant a demandé, perfidement, si la France exportait les déchets nucléaires associés à la production de lélectricité quelle exporte. Sur le même registre -et de façon aussi perfide- on pourrait répondre que la France nexporte que de lélectricité non nucléaire (70 TWh/an cest à peu près la part non nucléaire de notre électricité). Ou plus sérieusement dire quil en est de lélectricité comme de toute autre production industrielle : le fabricant fait son affaire des déchets. A la différence que des déchets nucléaires il y en a 100 fois moins.
Jacques FROT
AEPN
15 janvier 2003