PROTECTION RADIOLOGIQUE

 

Voici un document de synthèse établi par un éminent spécialiste en radioprotection du rapport du Comité de Radioprotection CRPPH de l'AEN-OCDE.

Au moment où le Gouvernement français prévoit de transposer les Directives Euratom sur les normes de protection des travailleurs et du public en suivant les recommandations de la CIPR-60, et ce d'une manière particulièrement restrictive, ce rapport de l'AEN est très important.

Notons que l’Académie des Sciences et l’Académie de Médecine ont également émis de sérieuses réserves au sujet des recommandations de la CIPR-60, notamment celles concernant une réduction des taux d’irradiation admissibles pour les travailleurs et les populations, par rapport aux normes adoptées précédemment et qui sont les normes officielles pour le moment dans notre pays.

En fait, l'AEN dit tout haut ce que bien des membres de la CIPR pensent, à commencer par son Président, Roger Clarke, à savoir que les recommandations CIPR-60 dans leurs points importants pour la protection du public et l'évaluaton des dommages à la suite de doses reçues, se trouvent être dépassées et ne sont ni adaptées, ni claires, ni cohérentes.

Autant de raisons pour éviter en France de se laisser enfermer dans des carcans irréalistes et nuisibles au développement et à la perception de l'énergie nucléaire.

 

                                                                                                                                 Michel Lung

                                                                                                       16/01/2002

 

 

 

 ANALYSE CRITIQUE DU SYSTÊME DE PROTECTION RADIOLOGIQUE CIPR-60 

 

 RAPPORT DU COMITĖ CRPPH DE L'AEN-OCDE

(présenté à l'IRPA - Avril 2000)

 

 

Sigles :            CIPR-60 : Soixantième rapport (1990) de la Commission Internationale de Protection Radiologique. La CIPR est une institution internationale privée faisant des recommandations en matière de normes de protection radiologique, dont les membres sont cooptés.

                        AEN-OCDE : Agence de l’Energie Nucléaire de l’Organisation de Coopération et de Développement économique, en charge des développements de l’énergie nucléaire civile.

                        Comité CRPPH : Committee on Radiation Protection & Public Health, comité de l’AEN chargé de donner des avis en matière de radioprotection  et de santé des individus.

                        IRPA :International Radiation Association, fédération internationale des sociérés de protection radiologique.

                        UNSCEAR : United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation, comité créé à l’origine à la suite des essais d’explosions atomiques.

                        AIEA : Agence Internationale de l’Energie Atomique, agence dépendant  des Nations Unies, située à Vienne, chargée de la promotion de l’énergie nucléaire civile, de sa sûreté et du contrôle de la prolifération. 

 

                        (pour la forme, autres institutions non mentionnées dans le texte :

                        BEIR : Board on Radiation Effects Research, US National Research Council,

                        NCRP : US National Commission for Radiation Protection,

                        “HPS” : Health Physics Society, Société Américaine de Radioprotection).

 

 

Depuis 40 ans les avis de l'AEN font foi au plan international, au même titre que ceux de l'AIEA et de l'UNSCEAR.  Le Comité CRPPH-AEN s'exprime avec diplomatie sur certaines dispositions des Recommandations du Rapport ICRP-60.  Au-delà des précautions de forme, le verdict est sévère.

 

CONDENSÉ DU RAPPORT

 

Le Comité CRPPH-AEN  rappelle que c'est le Président de la CIPR qui a lancé en 1999 l'idée "intéressante et décapante" selon laquelle "le système de radioprotection aurait beaucoup  à gagner d'un changement de doctrine", et qui a proposé de s'attaquer aux incohérences de ce système défini dans la Recommandation n° 60 de la CIPR (1990).  Le Comité apprécie d'autant plus d'avoir été convié à ces débats très ouverts, suscités pour la première fois (depuis 70 ans), qu'ils ont pour origine une proposition du Président de la CIPR, R. Clarke lui-même.

 

Principales observations du Comité sur le système de radioprotection de la CIPR-60 :

 

- Le concept actuariel de "dose collective" est équivoque.  Il est à l'origine de graves malentendus.

- Le public ne peut pas comprendre :

            . que la limite de 1 millisievert par an, qu'il perçoit comme "sûre" dans les circonstances normales,   ne s'applique plus en cas de situation accidentelle ou d'exposition prolongée;

            . que les critères d'optimisation en situation normale ne peuvent en aucun cas servir pour  l'optimisation en situation d'accident;

            . que l'exposition potentielle puisse être la même, pour un accident de faible probabilité à lourdes  conséquences, que pour un accident plus probable mais à moindres suites.

- Il n'y a aucune recommandation concernant la levée des contre-mesures post-accidentelles.

- A radioactivité égale, sans justification, les rejets des installations nucléaires sont réglementés beaucoup plus sévèrement (de plusieurs ordres de grandeur) que les rejets industriels dont la radioactivité est naturelle (gypses, phosphates, potasse, carrières de granite, etc...).

- Sans justification, la CIPR-60 propose de normes encore plus basses qu'auparavant.  Elle  n'explique pas  non plus pourquoi elle établit dans ses recommandations une différence entre les limites de dose pour l'exposition du public et les limites de doses professionnelles.

- Sous un vocable banal d'apparence : contrainte, risque, expositions potentielles, tolérables, exemption, libération, acceptable, inacceptable, niveaux indicatifs d'action, d'intervention, etc..., la CIPR-60 introduit en réalité des concepts vagues, subjectifs (peu accessibles à l'eprit cartésien, guère améliorés dans notre langue par les contresens de traduction et l'abus de locutions anglo-saxonnes).  Dix ans après la sortie de la publication 60, les spécialistes n'en ont toujours pas achevé l'exégèse.

 

Le Comité CRPPH regrette de même l'utilisation fréquente par la CIPR-60 de terminologies équivoques en l'absence de définitions simples et précises.  Entre autres :

- le concept de "contrainte de dose" dont l'opportunité n'est pas démontrée;

- le terme de "pratique", source de confusions et d'incohérence en matière de justification;

- l'"optimisation" qui est difficile à appliquer dans la réalité.  La CIPR fournit peu d'indications pour le faire en situation concrète.  Un exemple typique est le dilemme : exposer les travailleurs ou exposer le public.  On peut également se demander si les risques autres que radiologiques sont à compter dans l'optimisation.  Dans l'affirmative, cela impliquerait la comparaison des risques, donc inévitablement des choix dans la répartition des ressources disponibles.

 

Le Comité rappelle qu'on ne doit pas faire la somme des doses insignifiantes.  Il est illégitime d'utiliser la "dose collective" pour évaluer un hypothétique excès de décès : en effet, les incertitudes sur ces doses infimes à de larges populations sont si grandes que leur intégration n'a plus aucun sens pour quantifier le détriment absolu (le Comité donne l'exemple du Carbone 14 exploité par les militants prétendant "prouver" les dangers de l'énergie nucléaire).  La dose collective n'a aucune signification radiobiologique.  Sa validité est restreinte à l'optimisation de la radioprotection des équipes lors de quelques interventions limitées, notamment en cas d'urgence.

 

Le Comité pense que l'obscurité et l'incohérence du système de radioprotection proposé par la CIPR-60, en particulier les confusions dans l'application de la justification et de l'optimisation en situation concrète, ont contribué à entamer la confiance du public et des décideurs.

 

En ce qui concerne les fondements de la radioprotection, le Comité CRPPH rappelle que les recommandations de la CIPR reposent sur deux hypothèses de travail prudentes :

            1) L'hypothèse que les risques quantifiables visibles à doses élevées pourraient être extrapolés aux faibles doses et débits de dose, pour lesquels on n'en observe pas.

            2) L'hypothèse que, dans cette extrapolation, la relation dose-effet resterait linéaire et sans seuil jusqu'à la dose nulle.

            (Et en fait sur une troisième hypothèse moins connue : si une dose donnée est "protractée" sur un an au lieu d'être délivrée instantanément, son efficacité biologique ne serait réduite que d'un facteur 2).

 

Mais au plan scientifique, la réalité de ces hypothèses n'a jamais été prouvée.  Le Comité confirme à nouveau l'incapacité de l'épidémiologie à en vérifier le bien-fondé.  Désormais, dans le domaine des faibles doses, il est clairement établi que seule la recherche fondamentale sur les mécanismes radiobiologiques moléculaires et de la cancérogénèse est susceptible de préciser objectivement la forme et la signification biologique exactes des courbes dose-effet à leur origine.

 

Le CRPPH considère que les débats sur l'hypothèse de l'extrapolation linéaire sans seuil, et sur l'ensemble du système de radioproctection qui en découle, seraient grandement facilités si l'on distinguait plus clairement ce qui ressortit à la réflexion purement scientifique de ce qui revient au jugement social (c'est-à-dire politique).  En effet, à partir de 1990, la CIPR a commencé à introduire aussi des jugements sociaux (donc subjectifs), dans le choix de ses hypothèses de travail.  Mais en réalité, observe le CRPPH, la CIPR-60 fonde son choix numérique des limites de dose (selon elle, frontières entre ce qui et "inacceptable" et ce quui est "tolérable") davantage sur les critères scientifiques de risques que sur des considérations sociales.  En tout état de cause, le Comité se demande si c'est bien le rôle de la CIPR que de se préoccuper d'aspects sociaux.

Les hypothèses de travail de la CIPR, conclut le Comité, ne sont donc pas un instrument scientifique.  Elles ne sont pas autre chose qu'un moyen d'interprétation prudente, à fins réglementaires, des connaissances acquises de longue date sur les effets biologiques des radiations.  Cependant la circonspection amène parfois les autorités réglementaires à surprotéger le public et les travailleurs.  Et dans certains cas la décision politique conduit à protéger le public encore plus que ne le demandent les autorités réglementaires elles-mêmes.  Ces surenchères successives entraînent des dépenses disproportionnées par rapport au bénéfice sanitaire attendu, ce qui amène certains à juger excessifs les moyens que demande ce système de protection.

 

Le CRPPH souligne une fois de plus que les effets des rayonnements ionisants comptent pourtant parmi les mieux identifiés et étudiés de tous les dangers que connaît 'homme.  Il plaide pour un système de radioprotection plus opérationnel et cohérent, présenté en termes aisément compréhensibles.

 

P.P.