NUCLEAIRE ET DEVELOPPEMENT DURABLE
SONT-ILS COMPATIBLES ?
Intervention à la table ronde ANCLI, Dieppe, 16 septembre 2004
Michel LUNG-MESTREZAT, Conseiller, AEPN
(Association des Ecologistes Pour le Nucléaire)
Le néologisme " Développement durable " lancé naguère par la ministre norvégienne Gro Bruntland est très parlant : il associe la dynamique du développement avec la notion de maintien dans la durée de la protection du milieu dans lequel nous vivons.
A vrai dire, notre boule terrestre peut paraître isolée dans léther, toutefois elle est soumise à toutes sortes de radiations, notamment celle, énorme, du soleil, et elle est maintenue en équilibre par des forces dattraction encore mal connues qui pourront être exploitées un jour. Pendant des millions dannées la nature a maintenu sur terre un équilibre par lequel dénormes richesses fossiles se sont accumulées, avec une masse doxygène permettant la vie.
Le développement exponentiel de la population du globe, permis par celui des technologies et accompagné de besoins en énergie toujours croissants, depuis le 18ème siècle, a rompu ces équilibres malgré les constants apports dénergie solaire. Ce déséquilibre entre la production des combustibles fossiles, surtout charbon, pétrole et gaz, et leur épuisement, va en augmentant, tout comme la production de gaz à effet de serre et la consommation doxygène, même si cette dernière paraît insignifiante. Concomitamment, lhomme produit une quantité croissante de déchets, dont la majorité sont plus ou moins recyclables, mais dont une partie reste toxique, saccumule et na toujours pas aujourdhui trouvé de solution finale.
Les effets de ces phénomènes sur la santé et sur lenvironnement sont mesurables, en nombre de décès, de morbidité, surtout dans les pays pauvres qui manquent dhygiène.
Et laugmentation des populations et, heureusement, du niveau de vie moyen, fait que la demande en énergie croît inexorablement, sans doute, espérons-le, jusquà un palier que les experts fixent vers 2100 si des cataclysmes de diverse nature ninterviennent pas, à Dieu ne plaise. On va donc dans le mur avec les énergies fossiles, même si on met en place des économies dénergie drastiques.
Est-ce à dire pour autant que lénergie nucléaire va résoudre le problème ? Noublions pas que la fission de latome dégage théoriquement un million de fois plus dénergie par unité de masse " brûlée " que la combustion fossile. La fusion, encore beaucoup plus. Nous changeons tout à fait déchelle : là où il faut 2 trains de charbon par jour pour générer un million de kilowatts, ou deux pétroliers du tonnage Erika par semaine, il suffit de 20 tonnes duranium légèrement enrichi par an dans les centrales de la génération actuelle, et seulement 2 ou 3 tonnes par an duranium naturel ou appauvri dans des réacteurs à neutrons rapides du type Phénix ou Superphénix.
Et la quantité de déchets produite est à lavenant. Lindustrie dun pays moderne comme la France génère environ 2 millions de tonnes par an de déchets industriels toxiques à vie longue, baptisés " déchets spéciaux " Nos 58 centrales et lindustrie nucléaire qui les alimente génèrent quelques milliers de tonnes de déchets à vie longue, soit 100 fois moins. Pas de gaz à effet de serre, un excellent bilan de sûreté, un impact radioactif négligeable comparé à ce que nous recevons des radiations naturelles ou même des centrales au charbon. Le contre exemple de Tchernobyl est racheté par celui de laccident similaire de Three Mile Island qui na pas fait de victime par suite des mesures de sûreté prises pour ce type occidental de réacteur. Faut-il rappeler les conclusions de létude européenne ExternE qui donne la palme des coûts externes les plus bas au nucléaire et à léolien, (mais pas dans les mêmes tranches dénergie) ?
Limpact du terrorisme, de chutes possibles davion, souvent citées, est très réduit du fait de la compacité des installations, de leur robustesse et des précautions prises. Il nen serait sans doute pas de même pour certaines installations industrielles sensibles.
Nucléaire renouvelable ? Pas tout à fait, mais presque, grâce au recyclage des matières. Un réacteur daujourdhui ne brûle que 1 % de la matière fissile que lon y introduit. Les réacteurs des décennies prochaines pourront en brûler 10 % et bien plus, à condition de recycler et brûler le plutonium et les actinides générés pendant les réactions. La solution des combustibles nucléaires MOX est une étape intermédiaire sur la courbe dapprentissage. Convenons que les progrès de toutes sortes réalisés par rapport aux énergies fossiles, en lespace de cinquante ans seulement, sont assez fantastiques.
Les réserves duranium, évaluées à 13 millions de tonnes aujourdhui, sont loin dêtre toutes connues. Lénergie produite dépend très peu du prix de la matière première. Si le prix de luranium double, les géologues sont censés en trouver quatre fois plus, mais le prix de lénergie naugmentera que de 5 %. Luranium à 30 euros le kilo est aujourdhui la matière énergétique de loin la moins chère au monde par unité dénergie produite (de l'ordre de 100 fois moins cher que le pétrole). Noublions pas le thorium, 3 fois plus abondant que luranium et capable lui aussi dalimenter des réacteurs. Ces matières premières peuvent nous donner de lénergie pour des milliers dannées.
Toutefois aujourdhui on ne sait pas correctement pourvoir aux transports routiers et aériens sans recours aux énergies fossiles. Or, en France, 1/3 des émissions de gaz à effet de serre viennent des transports. Il y a donc lieu de pousser les recherches dans ce secteur : le ferroutage des poids lourds, les véhicules bi-mode (qu'on appelle aussi "hybrides"), type Prius, sont une réponse, en attendant les piles à combustible à lhydrogène, hydrogène généré par des réacteurs à Haute Température, dont un prototype fonctionne déjà au Japon. Ce type de réacteur est à la fois très sûr et " pardonnant " et très robuste pour éviter toute prolifération. Il semble bien adapté aux pays en développement pour fourniture de courant et de calories en cogénération, pouvant servir au dessalement par exemple, avec lassistance technique de pays évolués. Dautre part, le modèle de centrale avancée à eau légère EPR de 1500 MW, souvent critiqué parce que pas assez " avancé ", présente de nombreux avantages de robustesse, flexibilité, sûreté, par rapport aux réacteurs actuels. Lui aussi est sur une courbe prudente dapprentissage. Son coût de 3 milliards deuros équivaut à linstallation denviron 500 éoliennes off-shore également de 1500 MW de capacité nominale totale; mais celles-ci fonctionneront au mieux 1/3 à _ du temps, et dureront 15 ans au lieu de 45 ans pour lEPR. Donc prix comparable au KW installé, mais gros avantage pour le nucléaire au kWh produit.
Sur le plan économique, si les investissements au départ pour les installations nucléaires sont élevés, la durabilité et la robustesse garantissent un amortissement permettant un coût de revient de lénergie très compétitif incluant toutes les sujétions, sans même compter leffet CO2. Il suffit de rappeler quaujourdhui avec un baril à 45 dollars, la France économise grâce à son énergie dorigine nucléaire, environ 25 milliards deuros par an, ce qui équivaut à environ 2 points de notre PIB. Rappelons que le nucléaire en France est 80 % français et nous rapporte aussi en exportations dappréciables devises.
Est-ce à dire que le nucléaire doit supplanter toute autre forme dénergie ? Il nous faut aussi développer, là où cest possible et rentable, les énergies renouvelables : nous pensons en particulier que le solaire thermique a de beaux jours devant lui pour les applications du chauffage domestique.
Mais pour fournir les quantités délectricité nécessaires au monde moderne et à la qualité de la vie, de la manière la plus propre, la plus sûre, la plus fiable possible, le nucléaire seul en est capable, il est à notre portée et nous nous devons de le développer, comme la souligné le Professeur Lovelock récemment, homme que lon ne peut soupçonner dappartenir à un quelconque lobby ! Dailleurs des pays en développement peuplés comme la Chine et lInde sont arrivés à la même conclusion, et je crois pouvoir dire que cest heureux pour éviter de fortes pollutions pour le reste de la planète.
Nous apprécions le travail dinformation du public par les CLI, travail auquel notre Association essaye de contribuer. Pour toute information sur le nucléaire et sur notre association, vous pouvez vous connecter sur notre site internet : www.ecolo.org
Merci aux organisateurs de ce colloque pour cette heureuse initiative.
Je vous remercie.
Michel Lung