AEPN - INFOS Lettre d'information de l'Association des Ecologistes Pour le Nucléaire (AEPN) Le samedi 1er novembre 2003 |
Ce document est archivé et consultable sur internet à l'adresse suivante : http://www.ecolo.org/archives/archives-nuc-fr/
Madame, Monsieur, chers amis,
Voici le script de notre dernière émission radiophonique sur RMC-INFO avec Corinne Lepage en date du 9 octobre 2003, sur le thème du nouveau réacteur nucléaire français type EPR (European Pressurized Reactor), dans l'émission d'Alain Marschall et Olivier Truchot "On nous la fait pas". Nous n'étions bien entendu pas totalement du même avis, mais on notera cependant quelques points de convergence...
Avec nos sincères remerciements à Jean-Claude concernant son aide pour la transcription de ce script, qui nous permet de porter ce texte à votre connaissance.
Bien cordialement,
Bruno Comby
Président de l'AEPN
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" ON NOUS LA FAIT PAS "
L'émission
radiophonique
d'Alain Marschall et Olivier Truchot
Photo www.rmcinfo.fr (tous droits réservés)
Emission du 9 octobre 2003 sur
l'énergie nucléaire et l'EPR,
avec Bruno Comby (AEPN) et Corinne Lepage (CAP 21, ancienne Ministre
de l'Environnement)
Emission enregistrée et
diffusée en direct
sur RMC-INFO le 9 octobre 2003 de 16h10 à 17h00
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Script diffusé avec l'aimable autorisation de RMC-INFO :
Alain MARSHALL
La France a-t-elle raison de privilégier le nucléaire comme source d'énergie ? On se pose la question aujourd'hui dans " On ne nous la fait pas ", c'est un choix politique, un choix énergétique, c'est aussi un choix de société. À vous de réagir et d'engager le débat sur le choix énergétique du pays...
La France plus que jamais sur la voie de la production d'énergie nucléaire : c'est le choix de la ministre de l'Industrie, Nicole Fontaine. Elle propose que les réacteurs nucléaires EPR, c'est leur nom, réacteurs de troisième génération, remplacent peu à peu l'ensemble du parc nucléaire français. C'est une proposition faite au premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Il va y avoir discussion, débat, ça va être tranché. Mais enfin on voit bien quand même quelle est l'orientation qui est donnée.
La France mise sur le nucléaire, est-ce le bon choix ? À vous de réagir.
Pour en parler nous accueillons Bruno Comby : vous êtes président de l'Association des écologistes pour le nucléaire. Écologistes pour le nucléaire, c'est nouveau ça. Vous êtes tout seul alors ?
BRUNO COMBY
Pas du tout, c'est une association qui existe depuis 1996 et qui rassemble plus de 5 000 membres et signataires, avec des correspondants locaux dans toutes les régions de France et dans 45 pays. Donc je suis loin d'être tout seul.
ALAIN MARSHALL
Ça veut dire qu'on peut être écolo et pour le nucléaire ?
BRUNO COMBY
Absolument.
On peut être écologiste et pour le nucléaire, parce que l'énergie nucléaire a des avantages du point de vue de la protection de l'environnement.
Tout d'abord, c'est une énergie qui consomme très peu de matières premières, puisqu'un gramme d'uranium 235 ou de plutonium donne autant d'énergie qu'une tonne de pétrole.
Et cette énergie est très propre, puisqu'elle ne rejette pas ses déchets dans l'environnement. La quantité de déchets étant à peu près la même que celle de la matière première qu'on y met, il y a aussi très peu de déchets.
Alors bien sûr il faut s'en servir correctement...
ALAIN MARSHALL
Il y a peu de déchets mais ceux qui restent, c'est ce qu'on appelle des rayonnements longue durée, ça dure des dizaines, des centaines, des milliers d'années ?
BRUNO COMBY
Non, pas tous.
Il y a des déchets à courte durée de vie qui ne sont pas dangereux parce qu'ils ne durent pas longtemps.
Il y en a d'autres qui durent très longtemps, jusqu'à des milliards d'années, comme par exemple l'uranium qu'on trouve dans la nature, d'ailleurs, mais ce n'est pas vraiment un déchet, c'est une ressource, dont la demi-vie est de l'ordre du milliard d'années. Mais ceux-là ne sont pas très dangereux, parce qu'ils sont très peu radioactifs quand ils durent longtemps.
C'est ceux du milieu qui sont les plus gênants.
Ce que voudrais préciser c'est que nous sommes aussi des écologistes, donc en faveur des économies d'énergie, en faveur des énergies renouvelables et en faveur de toutes les énergies propres. Et que le vrai problème aujourd'hui c'est surtout la dépendance au pétrole et la pollution liée aux combustibles fossiles. Quand le pétrole va commencer à manquer, ce qui va venir dans les décennies qui viennent, eh bien il n'y aura pas de trop de prendre toutes les énergies propres qui seront à notre disposition, dont les renouvelables, et l'énergie nucléaire.
ALAIN MARSHALL
Ce que j'entends dans votre discours c'est que pour vous le nucléaire est une énergie propre ? Ça va faire hurler tout à l'heure Corinne Lepage qui sera avec nous, et ça fait hurler les Verts comme Noël Mamère ou Yves Cochet.
BRUNO COMBY
J'écouterai très volontiers les remarques de Corinne Lepage sur ce sujet, ça va donner une discussion intéressante.
Mais le nucléaire bien fait, bien exploité et bien construit, je pense, mais c'est une opinion personnelle, mais qui est partagée par un grand nombre de nos concitoyens, est une énergie propre, objectivement.
ALAIN MARSHALL
On va donner juste un chiffre, pour bien comprendre la position française sur l'énergie électrique produite par le nucléaire : la France, 2e pays producteur d'électricité nucléaire dans le monde, avec 415 milliards de kilowattheures, 59 réacteurs dans le pays et 78 % de l'électricité produite par le nucléaire.
Mais ma question aujourd'hui, c'est : est-ce qu'on a raison de s'engager tout de suite dans ces réacteurs de troisième génération, comme l'a dit clairement madame Nicole Fontaine. Il y a urgence, véritablement ?
BRUNO COMBY
On peut débattre de la date exacte, mais moi ce que je constate, c'est qu'il y a quand même des calendriers, et des infrastructures énergétiques, ça ne se discute pas sur un coin de table en cinq minutes.
Il faut cinq, dix ou même quinze ans pour construire des infrastructures énergétiques. Or quels sont les délais ?
Les réacteurs français ont été construits à partir du milieu des années 70, avec le choc pétrolier en 1973.
Ils ont été mis sur le réseau pour la plupart à partir de 1980, parce qu'il y a environ 7-8 ans de délai de construction.
Pour construire un EPR : il faut 6 ans pour le construire et 2 ans pour en discuter, faire les permis de construire, les débats publics, procédures administratives, etc.
Même si on décidait politiquement aujourd'hui, il faut donc 2 ans de discussions et 6 ans de construction.
Or les réacteurs durent aujourd'hui 40 ans. Donc 1980 plus 40 = 2020, mais il faut 6 ans plus 2 ans pour les construire, ça fait 2012.
Donc c'est en 2012 qu'on va devoir construire le début d'une série d'une quarantaine de réacteurs...
ALAIN MARSHALL
Attendez, la plus ancienne des centrales nucléaires françaises s'est Fessenheim, c'est ça ?
BRUNO COMBY
C'est en 1973 qu'on a commencé à toutes les mettre en chantier, pratiquement.
ALAIN MARSHALL
Avec la durée de vie qui a été amenée à 40 ans, ça veut dire que la première commencera à être obsolète, ou il faudra s'en préoccuper, à partir de 2017, donc on avait quand même un peu de marge.
BRUNO COMBY
Je vous disais 2020...
ALAIN MARSHALL
On a de la marge.
BRUNO COMBY
Non, parce qu'il faut 6 ans pour les construire, 2 ans pour les décider. Et avant d'en construire 40, il faut un prototype, une tête de série.
On ne construit pas directement 40 réacteurs comme ça de but en blanc. Or si on veut être prêt avec un réacteur validé en 2012, pour décider alors d'en faire 40, il faut prendre la décision de construire la tête de série 8 ans avant, c'est-à-dire en 2004. Au plus tard l'année prochaine...
ALAIN MARSHALL
Vous partez du principe que c'est 40 ans la durée de vie d'un réacteur, mais j'ai l'impression que personne n'est capable de dire précisément combien de temps doit durer un réacteur. C'est EDF qui le dit, mais certains experts disent qu'aujourd'hui l'espérance de vie précise d'un réacteur, on est incapable de la fixer.
BRUNO COMBY
Tout à fait, c'est pour ça qu'il est prudent d'engager différentes pistes, y compris le renouvellement du parc.
ALAIN MARSHALL
La plupart des réacteurs aujourd'hui en activité datent des années 80 ?
BRUNO COMBY
Oui, à partir de 1980, ils ont été mis en service progressivement, entre 1980 et 1990, pour la plupart.
ALAIN MARSHALL
On va donner la parole à Bernard avant de continuer à parler avec vous, Bruno Comby, de l'énergie nucléaire. Vous nous dites : allons-y pour le nucléaire, c'est un choix qui est meilleur que le pétrole, le charbon et les autres énergies, qui sont beaucoup plus polluantes.
BRUNO COMBY
Ça ne remplace pas les autres énergies, parce que chaque énergie a sa place. Mais pour la production d'électricité de base, c'est clairement l'énergie qui est la meilleure option. Maintenant, ça n'exclut pas les éoliennes et les économies d'énergie.
ALAIN MARSHALL
D'accord.
Le Président de la République nous dit quand même qu'il est très préoccupé par l'écologie, par la protection de l'environnement, et boum on fait un choix du nucléaire. Ça paraît un peu bizarre, alors qu'on a une secrétaire d'État au Développement durable et on n'entend pas parler de développement durable.
Vous avez parlé vous-même de ces centrales nucléaires troisième génération, EPR, mais c'est une technologie qui date aussi des années 80. Est-ce qu'elle n'est pas déjà obsolète, cette technologie EPR ? On va la lancer alors qu'elle a déjà 20 ans d'âge !
BRUNO COMBY
Non, ce n'est pas du tout obsolète, c'est ce qu'on appelle les réacteurs à eau sous pression, ça fait plus de 20 ans qu'on en construit, mais ces réacteurs se perfectionnent, de même que le moteur à essence a plus que 20 ans d'âge et on construit toujours des moteurs à essence.
Donc une technologie peut très bien avoir 20 ans et ne pas être complètement dépassée.
Mais ce sont des réacteurs qu'on appelle " évolutionnaires ", c'est-à-dire qu'ils ont bénéficié des acquis de l'expérience des réacteurs qu'on a aujourd'hui, dont on fait évoluer des détails, ils ne sont pas fondamentalement différents, mais il y a des systèmes de sécurité qui sont faits un peu différemment, il y a l'enceinte de confinement qui est renforcée. En cas d'accident il y a des nouveaux systèmes qui sont mis en place, qui font que les réacteurs actuels sont déjà très sûrs. En France on n'a pas eu un seul accident grave (dans le nucléaire) depuis 40 ans et il n'y a pas eu même un mort par irradiation à cause de l'électricité française.
ALAIN MARSHALL
Bonjour Bernard...
BERNARD
La position de votre invité est intelligente, il analyse bien les choses, mais c'est une option, et en politique comme dans les prospectives d'une société ou de la gestion d'un pays, chacun peut prendre des options.
Je suis écologiste moi aussi et je connais les positions par exemple de monsieur Charpak, qui préconise aussi certains avantages du nucléaire. Moi je pense qu'on devrait attribuer une beaucoup plus grande part des crédits de recherche aux solutions alternatives.
ALAIN MARSHALL
Lesquelles ?
BERNARD
Par exemple la géothermie, on a des gens la Compagnie française de géothermie qui ont travaillé toute leur vie...
ALAIN MARSHALL
C'est quoi la géothermie ?
BERNARD
C'est la recherche de calories dans le sous-sol, pour les faire monter à la surface. Dans la région parisienne, je peux vous dire qu'on chauffe 130 000 logements dans le bassin parisien, autour de Créteil, Alfortville...
ALAIN MARSHALL
Alors la géothermie comme alternative au nucléaire, Bruno Comby : est-ce réaliste ?
BRUNO COMBY
C'est intéressant.
Il se trouve que j'ai visité très récemment une installation pilote à Soultz-sous-forêts, parce qu'en France nous avons une des installations les plus avancées au monde pour ce qui concerne l'exploitation de la géothermie profonde en roche sèche.
En quoi ça consiste ? C'est très simple : dans un réacteur nucléaire, on a une température de l'ordre de 300 degrés environ. Eh bien, il faut savoir que, sous nos pieds, la terre est chaude, puisqu'on a de la lave incandescente à quelques kilomètres sous nos pieds. Et donc au lieu de faire des systèmes compliqués pour fabriquer de la chaleur à la surface de la Terre, l'idée est de faire un trou et de prendre la chaleur qui est en dessous.
Donc il y a des endroits où il y a de la géothermie humide. Par exemple en région parisienne, comme le dit Bernard, et il a raison, ça chauffe un certain nombre de logements, et fort efficacement.
Là où on peut en faire, il faut le faire, et notre association y est tout à fait favorable, et on pourrait mieux faire dans ce domaine.
ALAIN MARSHALL
Et ça pourrait répondre à tous les besoins énergétiques de la France ?
BRUNO COMBY
Il faut voir le potentiel. Et ça ne peut pas répondre à tous les besoins énergétiques de la France.
Si ça peut chauffer quelques dizaines, voire centaines de milliers de logements par ici ou par là en Europe, ce n'est déjà pas si mal.
Si plus tard on peut développer davantage la géothermie profonde, c'est bien et je pense qu'il faut effectivement mettre des fonds de recherche là-dessus.
Mais pour l'instant, il faut quand même produire l'énergie que nous consommons, et c'est pas juste des kilowatts que nous consommons aujourd'hui, ce sont des gigawatts et des terawatts, ce sont des quantités importantes d'énergie.
Alors, il faut économiser l'énergie. Mais ça ne suffira pas non plus : l'énergie qu'on veut quand même consommer, il faut la produire de la manière la plus propre possible, et aujourd'hui en masse pour satisfaire les besoins de nos sociétés industrielles.
BERNARD
C'est très sensé ce que dit monsieur Comby, mais je crois que tout à l'heure vous allez avoir madame Lepage, que je connais, qui est docteur en droit. Elle n'est pas scientifique, mais son mari est génial, Christian Huglo, vous pourrez lui poser toutes les questions.
Mais à part les énergies géothermiques, il y aussi par exemple l'énergie éolienne. En France, dès l'instant qu'on a un projet, vous avez toujours des opposants. Les pays leaders en Europe sont l'Espagne, l'Allemagne et le Danemark.
ALAIN MARSHALL
Parlons de l'énergie éolienne, ça revient souvent, on se dit : " mais pourquoi ne pas utiliser le vent pour nous éclairer ? "
Alors simplement, puisque Bernard a cité l'exemple de l'Allemagne, il semble quand même que l'Allemagne est en train de revenir là-dessus et de s'apercevoir que ce n'est pas forcément la solution miracle, l'éolien ?
BRUNO COMBY
Oui, ce n'est pas du tout une solution miracle. Même des pays comme l'Allemagne ou le Danemark, qui ont mis eux tous leurs fonds de recherche, ou en tout cas des sommes considérables, dans cette direction, produisent au grand maximum 4 ou 5 % de leur énergie avec.
Et encore il faut voir que l'éolien ça ne produit de l'énergie que les jours où il y a du vent. Or on ne peut pas stocker des grandes quantités d'énergie, on ne sait pas faire cela aujourd'hui.
Et ça défigure le paysage.
Alors faisons une petite comparaison, par exemple le fameux EPR, dont on discute, le nouveau réacteur nucléaire, il fait 1 500 mégawatts. Si on voulait construire des éoliennes à la place de ce réacteur, pour produire la même quantité d'électricité, combien il en faut ?
C'est très simple. Les éoliennes ont un rendement de 25 %, par ailleurs les éoliennes modernes font environ 1 mégawatt, donc il en faut 1 500 pour faire la même puissance, le jour où il y a du vent, qu'une centrale nucléaire de type EPR.
Le jour où il n'y a pas de vent, même avec 1 million d'éoliennes ça ne vous fait pas un réacteur. Et en moyenne sur l'année il en faut 6 000...
ALAIN MARSHALL
Mais là vous êtes en train de donner le paysage maximal, si on reporte tout sur l'éolien. Mais ça n'empêche pas de développer quand même ?
BRUNO COMBY
Bien sûr, ce qu'on peut faire avec des éoliennes, ce sera toujours ça de pris.
Mais il ne faut pas non plus rêver et être utopiste au point de mettre tous ses ufs dans le panier de l'éolien, qui finalement ne mène pas très loin. Ça serait bien imprudent.
ALAIN MARSHALL
Oui, parce que je parlais de l'Allemagne, les riverains commencent à en avoir un peu marre et quand on parle de pollution, là il y a une pollution visuelle, parce que c'est pas très joli, l'éolien.
BRUNO COMBY
C'est ça, et, par exemple, on pourrait les aligner depuis Nice jusqu'à Perpignan, sur trois rangées, ce sont des grandes machines qui font 150 mètres de haut presque, et presque 100 mètres d'envergure, avec les pales qui tournent. Et l'on pourrait faire trois rangées de Nice à Perpignan et ce serait comparable à un réacteur de type EPR qui ne fait que quelques dizaines de mètres de diamètre.
ALAIN MARSHALL
On parlait des déchets, est-ce que les nouvelles centrales dont vous nous dites le plus grand bien, EPR, peuvent être alimentées par les déchets des autres centrales, ce qui permettrait une espèce de recyclage ?
BRUNO COMBY
Oui, absolument.
C'est d'ailleurs un peu le cas déjà aujourd'hui avec les réacteurs nucléaires que nous avons en France, puisqu'on recycle une partie du plutonium dans les réacteurs civils.
Les États-Unis sont en train de se diriger dans cette direction également, le Japon également, la Russie aussi, les Chinois, l'Asie s'y mettent également, à ces techniques de recyclage du combustible nucléaire.
Il faut voir que les réacteurs nucléaires d'aujourd'hui ne consomment que 1 % du combustible qu'on y met. Et donc à, la Hague on recycle le combustible pour récupérer 97 % qui sont récupérables. Donc ce n'est pas rien. Et tout cela, on peut le réutiliser dans des nouveaux réacteurs.
ALAIN MARSHALL
Et dans le recyclage des déchets, l'écologiste que vous êtes, le vrai défenseur de l'environnement, à la Hague tout est propre, tout est nickel, il y a pas de problème dans le rejet des déchets, etc. ?
BRUNO COMBY
Loin de moi l'idée de dire que tout est simple et qu'il n'y a jamais de problème.
Mais les problèmes ont des solutions.
Je suis un optimiste, donc je vois plutôt ce qu'on peut faire, plutôt que de voir des catastrophes partout.
Parce qu'il faut aller de l'avant. Où va-t-on demain ? Il faut y aller d'une manière volontaire, décidée, et faire quelque chose qui marche.
Il ne suffit pas de rêver et tout d'un coup se retrouver dans le mur.
ALAIN MARSHALL
Corinne Lepage est avec nous, bonjour Madame Lepage, présidente de Cap 21, ex ministre de l'Environnement. Elle a eu raison, madame Nicole Fontaine, de tout de suite donner la voie ?
CORINNE LEPAGE
Écoutez, je vois que le Premier Ministre est beaucoup plus réservé, et je m'en réjouis.
Moi je ne suis pas a priori contre le nucléaire. Je pense qu'il faut avoir un panier d'énergies dans lequel, vu les choix qui ont été faits en 1973, il y aura encore du nucléaire, mais en revanche je suis tout à fait opposée au choix EPR.
ALAIN MARSHALL
Pourquoi ?
CORINNE LEPAGE
Pour une série de raisons.
La première c'est qu'il n'y a aucune urgence. Vous avez pu voir que la semaine dernière EDF a considéré que la durée de vie de ses centrales devait être rallongée de dix ans pour des raisons certes comptables, mais elle ne l'aurait jamais décidé si techniquement ça paraissait irréalisable. Premier point. Donc nous n'aurons pas besoin de construire de nouvelles centrales, et encore une fois je ne suis pas a priori contre le fait qu'on renouvelle partiellement le parc de centrales, entre 2020 et 2030.
D'ici là, il va y avoir des avancées technologiques importantes. Et les États-Unis, je pense que ce n'est pas monsieur Comby qui me contredira sur ce point, travaillent à des réacteurs d'un nouveau type. L'EPR n'est pas un réacteur d'un nouveau type. L'EPR est un PWR légèrement amélioré.
Cela veut dire que dans une période de finances publiques très faibles, c'est le moins qu'on puisse dire, à un moment où EDF va être privatisée, et je pense donc pas disposée à mettre de l'argent sur l'EPR, nous allons mettre le peu de ressources que nous pourrions mettre sur un seul outil qui est déjà pas obsolète mais qui appartient à une génération passée.
ALAIN MARSHALL
Mais faut-il privilégier le projet américain ou plutôt un projet franco-allemand, parce que l'EPR c'est un projet franco-allemand, c'est le groupe Areva ?
CORINNE LEPAGE
Je suis désolée, ce n'est plus un projet franco-allemand, c'est un projet français qui sera réalisé par Siemens et Framatome. Mais ce n'est pas un projet Allemand puisque l'Allemagne s'en est retirée.
ALAIN MARSHALL
C'est aussi un choix économique, un choix industriel...
OLIVIER TRUCHOT
Mais ce que dit Corinne Lepage est intéressant, vous semblez donc dire que le gouvernement est en train peut-être de faire un geste politique, ou de donner un gage à EDF dans la perspective du changement de statut ?
CORINNE LEPAGE
Écoutez, je ne suis pas dans le secret des dieux, je n'en sais rien.
Mais ce que je sais c'est qu'EDF est dans une situation financière qui n'est pas facile et le rallongement de dix ans de la durée de vie des centrales a eu pour objectif de présenter une situation comptable positive, que deuxièmement ce n'est un secret pour personne, la maison France en ce moment n'a absolument pas d'argent à mobiliser, et que par conséquent nous allons mettre beaucoup d'argent, à un moment où cet argent est particulièrement difficile à trouver...
ALAIN MARSHALL
Mais cet argent va aller pour un projet français, donc ça me paraît plus logique d'investir sur du français que sur les États-Unis.
CORINNE LEPAGE
Vous vous êtes mépris sur ce que je voulais dire. Je ne dis pas qu'il faut qu'on aille mettre de l'argent sur le projet américain, bien sûr que non. Je dis simplement qu'au moment où les Américains sont en train de travailler sur un projet qui lui va être un vrai saut technologique, nous nous ne faisons pas le même effort chez nous pour travailler sur un projet qui pourrait être un saut technologique. C'est ça que je suis en train de dire.
BRUNO COMBY
J'ai plusieurs réactions par rapport à ce que vient de dire madame Lepage. Tout d'abord je note avec satisfaction qu'apparemment elle serait favorable à l'augmentation de la durée de vie des centrales...
CORINNE LEPAGE
Je ne prends pas de position sur ce point.
Il y a un fait, monsieur Comby, c'est que la durée de vie des centrales dans la comptabilité d'EDF a été rallongée de dix ans.
Je dis qu'on ne peut pas au même moment, sans être totalement incohérent, dire d'un côté qu'il y a une véritable urgence à choisir un nouveau réacteur, et dans le même temps dire que nos centrales vont vivre dix ans de plus. Moi je prends les faits tels qu'ils sont. Je ne prends pas position sur le point de savoir si c'est bien ou mal.
BRUNO COMBY
Par rapport aux réacteurx de nouvelle génération, c'est vrai que dans un cadre international, parce qu'il n'y a pas que les Américains, la France fait partie aussi du projet Génération 4, pour développer de nouvelles générations de réacteurs nucléaires.
Mais ces réacteurs nucléaires sont prévus pour pouvoir être disponibles et commencer à faire des plans sur leur construction à partir de 2030 et plus, et que c'est un peu des plans sur la comète pour l'instant.
Je note aussi que dans ce projet Génération 4, on trouve, entre autres, les réacteurs refroidis au sodium, contre lesquels madame Lepage a vaillamment combattu il y a quelques années.
CORINNE LEPAGE
Parce qu'effectivement les feux de sodium, il y a quelques années, et je pense toujours aujourd'hui, ne sont pas susceptibles d'être arrêtés. Si d'ici 30 ans on trouve le moyen d'arrêter un incendie de sodium, à ce moment-là le problème se posera dans des termes différents.
ALAIN MARSHALL
Puisque c'est un véritable choix de société, Corinne Lepage, est-ce que vous souhaiteriez que la population soit consultée là-dessus ?
CORINNE LEPAGE
Oui, je suis une partisane constante de la voie démocratique et de la consultation des gens, y compris avec les risques politiques que cela implique.
ALAIN MARSHALL
Mais est-ce qu'on peut résumer une question assez complexe, la question du nucléaire, en une question comme ça. Parce qu'un référendum il faut répondre par oui ou par non.
CORINNE LEPAGE
Oui, parce que le nucléaire ça présente des avantages, c'est vrai, ça présente des avantages en terme d'effet de serre, ça présente des avantages en terme de coût, en terme d'indépendance nationale, ça présente aussi un certain nombre d'inconvénients. Il faut présenter aux gens les avantages et les inconvénients. Aujourd'hui, de toutes façons, nous vivons avec. Mais même autour de ce choix là il y a encore des questions à poser aux gens. Par exemple : " &emdash; est-ce que vous êtes d'accord pour que la France devienne quasiment le seul producteur d'énergie nucléaire en Europe, exportant à toute l'Europe de l'énergie nucléaire, pendant que les autres pays votent des décisions de sortie du nucléaire ? "
ALAIN MARSHALL
Ça rapporte des sous à la France...
CORINNE LEPAGE
Oui mais attendez, demandez aux gens, je ne suis pas sûre qu'ils soient prêts à courir les risques, et en termes de production, et en termes de gestion des déchets, et de se transformer en poubelle nucléaire, qu'implique cette volonté exportatrice.
Je ne suis pas sûre que les gens qui habitent dans les Pyrénées-Atlantiques aient envie d'un couloir de lignes à très haute tension qui fiche en l'air une vallée des Pyrénées, pour vendre de l'électricité à l'Espagne. Que EDF ait un intérêt commercial à le faire, c'est une chose, mais EDF va être bientôt une société privatisée, que les Français souhaitent cette voie d'évolution, c'est une autre chose.
OLIVIER TRUCHOT
Justement, donnons la parole aux Français. Jacques, bonjour, vous êtes dans les Pyrénées-Atlantiques justement, vous êtes pour que le gouvernement vous demande votre avis sur les choix énergétiques ?
JACQUES
Oui, mais à condition qu'on soit très très bien informés.
Ce qui, en matière d'énergie nucléaire, n'est pas tout le temps le cas.
Je tiens à préciser que j'ai vécu 14 ans en Alsace et qu'à l'époque de Tchernobyl j'y étais. Et là il y a eu un mensonge phénoménal de la part du gouvernement, monsieur Madelin était ministre de l'Industrie. E en France il y a eu une omerta totale sur la catastrophe de Tchernobyl. En Alsace on a été bien touchés...
ALAIN MARSHALL
Donc vous dites qu'on n'est pas à l'abri d'un Tchernobyl français ?
JACQUES
J'espère que je me trompe, mais enfin on n'est pas à l'abri d'une catastrophe nucléaire...
BRUNO COMBY
On peut répondre sur ce point d'une manière assez simple.
Les réacteurs que nous avons en France, et plus encore l'EPR, ne sont pas du tout des réacteurs de type Tchernobyl : nous avons des réacteurs avec des enceintes de confinement.
Il y a eu deux accidents graves dans l'industrie nucléaire dans le monde, Tchernobyl, qui a fait des victimes, malheureusement, et un accident tout à fait similaire dans une centrale beaucoup mieux construite qui est à Three Mile Island, en Pennsylvanie aux États-Unis, où il n'y a pas eu un seul mort ni un seul blessé, parce que les systèmes de sécurité existaient. Le cur a fondu mais quasimment tout a été contenu parfaitement dans l'enceinte de confinement.
Donc il ne faut pas exagérer les risques, même s'ils existent. Le nucléaire doit être fait d'une manière propre, prudente, et à ce moment-là, c'est une énergie qui est à la fois performante et sûre.
ALAIN MARSHALL
Mais c'est vrai, Corinne Lepage, on a encore des efforts à faire sur l'information, sur la transparence...
CORINNE LEPAGE
Je crois que ce que vient de dire Jacques est tout à fait fondé.
On a eu un mensonge d'État dans Tchernobyl, c'est évident. Le nuage ne s'est évidemment pas arrêté à la frontière, il y a eu des retombées très importantes en Alsace, dans le sud-est de la France et en Corse. Et aujourd'hui un certain nombre de gens considèrent que les cancers de la thyroïde qu'ils ont, à tort ou à raison, là encore je ne prends pas position, sont dus au nuage de Tchernobyl.
Moi j'ai confiance dans les sécurités qui ont été mises en France, c'est vrai qu'on a un système aussi performant que possible, mais personne ne peut dire qu'une centrale nucléaire ne peut pas claquer en France, ça c'est pas possible.
ALAIN MARSHALL
Il y a eu un incident récemment à la centrale de Fessenheim, c'était pendant la période de la canicule, je crois qu'on arrosait la centrale parce ce que le réacteur était trop chaud. Et c'est vrai qu'on avait un mal fou, nous, journalistes, à avoir des informations là-dessus.
CORINNE LEPAGE
On est encore dans le domaine de l'omerta en matière d'information nucléaire.
Il y a du reste un texte récent qui a été pris par le gouvernement pour attacher 1e secret défense à. tout ce qui concerne non seulement le transport mais la manipulation des matériaux nucléaires.
On reste dans le domaine du secret total et il est clair que si on mettait les choses sur la place publique, il s'agit bien entendu pas de donner des armes aux terroristes pour qu'ils viennent faire sauter nos centrales, mais il faudrait une vraie information des gens, qu'ils n'ont pas aujourd'hui.
ALAIN MARSHALL
Ce secret crée le fantasme autour du nucléaire ?
BRUNO COMBY
Oui, alors je suis tout à fait d'accord avec madame Lepage quand elle dit qu'il faut une meilleure information du public sur les questions énergétiques en général et sur le nucléaire en particulier.
Par contre j'aurais tendance à être un peu plus optimiste qu'elle quant aux risques qui existent ou pas.
Bien sûr il y a des risques, il faut les gérer, il faut faire bien, mais ça n'est pas du tout aussi dangereux que certaines personnes le pensent.
Le nucléaire est une énergie qui peut être parfaitement propre et fiable si c'est bien fait.
OLIVIER TRUCHOT
On va donner la parole à Jean-Marc. Bonjour. Vous vous êtes installateur en énergies renouvelables, vous êtes dans le camp du gouvernement dans ce choix de l'énergie nucléaire ?
JEAN-MARC
Je suis d'accord avec le gouvernement, mais malheureusement
Je connais très bien les énergies renouvelables puisque j'en fais depuis dix ans. Je me suis spécialisé là-dedans. Je rencontre des nationaux là-dessus, le problème c'est que trouvez-nous une énergie, et moi le premier, qui peut remplacer ou suppléer à l'énergie nucléaire, avec le nombre de tera-kilowatts qu'on bouffe en France.
Donc quand on dit de faire un débat national et d'inviter les Français à prendre position, le problème c'est que les Français sont très mal informés.
OLIVIER TRUCHOT
C'est vrai qu'il faudrait pouvoir diversifier, miser sur les énergies renouvelables mais c'est vrai, Corinne Lepage, mais on a un secteur énergétique qui dépend à quasiment 80 % du nucléaire...
CORINNE LEPAGE
Non, pas l'énergétique, l'électricité.
OLIVIER TRUCHOT
Mais est-ce bien raisonnable ?
BRUNO COMBY
Écoutez, produire l'électricité de base avec du nucléaire propre, moi ça me paraît une option qui est bonne, et on met en route des centrales qui sont un peu plus polluantes, des centrales à gaz, des centrales parfois à charbon, juste pour passer les pointes de consommation.
Parce qu'on ne va pas construire une centrale nucléaire qui fonctionnerait seulement 10 ou 20 % du temps, ça n'aurait pas de sens.
CORINNE LEPAGE
Je crois que malheureusement, mais c'est un fait, nous ne pourrons pas, dans les années qui viennent nous passer du nucléaire.
Mais par contre je trouve lamentable, et le rapport Besson vient encore de le montrer, le sur-place que nous faisons en matière d'énergies renouvelables.
Nous nous sommes fixé d'en faire 21 %, nous sommes très loin du compte et, dans les 21 %, il faut rappeler que c'est 14 % d'hydroélectricité qui existe déjà. Or nous pouvons développer une industrie intelligente autour en particulier du solaire, que ce soit le solaire thermique ou le solaire... Or là-dessus nous sommes extrêmement faibles.
Cet été nous avons eu de la canicule, je fais partie de ceux qui pensent que malheureusement ce n'est pas un fait isolé et qu'il faut nous attendre dans les années qui viennent à ce que ça recommence. Nous avons vu les difficultés que nous avions avec le nucléaire et la chaleur. Il est clair que de la climatisation, parce que nous en avons besoin, fondée sur du solaire est évidemment la solution intelligente.
ALAIN MARSHALL
En quelques secondes, Bruno Comby, est-ce qu'on a assez de soleil en France pour que ça marche, l'énergie solaire ?
BRUNO COMBY
Là, je vais faire plaisir à madame Lepage, je suis d'accord avec elle sur le fait qu'on pourrait beaucoup développer en France le solaire thermique et que c'est utile et c'est même souvent économiquement rentable.
ALAIN MARSHALL
Uniquement dans le sud de la France, non ?
BRUNO COMBY
Pas du tout, même en région parisienne, par exemple, on peut mettre sur le toit d'un pavillon quatre ou cinq mètres carrés de capteurs solaires qui peuvent permettre de faire en gros les deux tiers de l'eau chaude.
ALAIN MARSHALL
Enfin aujourd'hui il fait gris sur Paris, ça marche votre capteur ?
BRUNO COMBY
Écoutez, vous avez un petit chauffe-eau chez vous qui stocke l'eau chaude et ça peut stocker pour un jour ou deux, et puis, bien sûr quand il y a des nuages, il y a moins de soleil, mais il y en a quand même un peu, ça participe.
Et ces chauffe-eau sont aussi biénergie, c'est-à-dire que quand il n'y a pas assez de soleil, c'est le chauffe-eau électrique qui prend le relais.
Donc si l'électricité est nucléaire, on gagne sur les deux tableaux. Donc moi je suis tout à fait favorable au solaire thermique, on pourrait en dire davantage et c'est une bonne chose.
ALAIN MARSHALL
Merci, Bruno Comby, d'avoir participé à cette émission, merci à Corinne Lepage, présidente de Cap 21, ex-ministre de l'Environnement.
Pour tous ceux qui sont intéressés par votre mouvement, Bruno Comby, l'Association des écologistes pour le nucléaire, AEPN, il suffit de vous envoyer un e-mail à : aepnAecolo.org (antipsam : remplacer A par @ avant d'envoyer le message).
BRUNO COMBY
Et vous avez un site internet qui est www.ecolo.org.
ALAIN MARSHALL
Merci.
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Fin de l'émission radiophonique "On nous la fait pas" du 9 octobre 2003
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