Interview de Bruno Comby

14 juin 2007

pour FRENERGIE

 

On vous présente comme un écologiste pronucléaire. En Suisse, un tel qualificatif serait perçu comme une provocation. Comment gérez-vous cette image?

Et pourtant ! Loin d'une provocation, il y a d'excellentes raisons d'être favorable au nucléaire sous l'angle écologique : c'est une source d'énergie particulièrement propre et respectueuse de l'environnement, ne produisant quasimment pas de CO2. Si les réacteurs sont correctement conçus, les risques pour l'environnement sont insignifiants (contrairement aux grosses centrales à charbon et gaz). Un gramme d'uranium donne autant d'énergie qu'ue tonne de pétrole, soit un facteur 1 million et donc une très, très faible consommation de matière première par rapport au charbon et aux énergies carbonées (donnant aussi une quantité très petite de déchets solides, souvent vitrifiés (donc inertes), à durée de vie limitée (ils se désintègrent spontanément) et particulièrement bien conditionnés, donc sans aucun impact sur la biosphère, puisque simplement ils ne retournent pas dans les écosystèmes. L'emprise au sol et les matériaux de construction (quantité d'acier et de béton de construction) sont bien moindres pour le nucléaire que pour l'énergie éolienne (par kWh produit).

 

Comment expliquez-vous l'exception nucléaire française? Autrement dit, comment est-elle parvenue à développer cette capacité de production exceptionnelle en comparaison internationale?

En 1973, lors du premier choc pétrolier, la Grande Bretagne et l'Allemagne avaient encore des quantités assez importantes de charbon exploitable, l'électricité en Suisse était produite en grande partie par les barrages hydrauliques, mais la France n'avait pas de charbon (ou presque) et bien moins de potentiel hydraulique (rapporté au nombre d'habitants) que la Suisse. Et la France disposait par ailleurs du savoir-faire nucléaire. Il s'agissait donc d'u choix naturel et logique. Il n'y avait pas d'autre solution viable, sauf d'augmenter (comme la fait l'Italie dans la même situation) la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon importés (et fortement émetteurs de CO2). Et les dirigeants politiques français d'alors ont été visionnaires et ont fait les bons choix, au bon moment, en développant alors un grand programme d'économies d'énergies (la fameuse "chasse au gaspi" de la fin des années 1970) ainsi que le programme nucléaire français qu'aujourd'hui le monde entier nous envie.

 

Pourquoi, malgré ses qualités écologiques incontestables, l'énergie nucléaire est-elle souvent considérée dans le public comme une entrave à la protection de l'environnement ?

Parce qu'une petite (mais très active) minorité d'écologistes anti-nucléaires ont réussi à imposer leurs vues dans les médias. Compte tenu des avantages écologiques indéniables du nucléaire, il existe aussi, et de plus en plus, un nombre croissant d'écologistes favorables à l'énergie nucléaire, qui se rassemblent au sein de l'AEPN (association des écologistes pour le nucléaire), tels que le Pr James Lovelock (auteur de la théorie de Gaia, considéré comme le père historique de l'écologie depuis les années 1960) ou encore notre ami Patrick Moore (fondateur initial de Greenpeace en 1971). Au total notre association rassemble actuellement plus de 9000 membres et signataires dans 56 pays.

 

Quelles sont les erreurs de communication commises par les organisations pronucléaires?

Communiquer sur les accidents et les risques (même pour dire qu'ils sont minimes) transmet au public une image très négative du nucléaire. Il faut plutôt parler des avantages aussi bien écologiques, qu'économiques, sociaux, scientifiques, voire philosophiques ou sociétaux. Et il ne faut pas hésiter à parler, à dire les choses comme elles sont, ne pas avoir peur des débats contradictoires. C'est bien l'objet de notre association que de communiquer sur ces sujets pour faire connaître au public, aux journalistes et aux dirigeants politiques les avantages écologiques de l'énergie nucléaire.

 

Brossez-nous le portrait de l'antinucléaire type.

Il peut être issu de tous les milieux sociaux. On en trouve peu chez les ingénieurs, beaucoup chez les marginaux. En général il ne sait pas très bien comment fonctionne une centrale nucléaire, mais il en a peur. Il est sincère et fortement convaincu. C'est parfois (pas toujours) un militant. Il est souvent jeune (mais pas toujours). Il rêve un peu (et il a raison) ! Il croit en un monde meilleur dont il se forge une représentation mentale souvent assez éloignée de la réalité, et dans son rêve l'énergie nucléaire a une dimension malfaisante avec une symbolique quasimment diabolique et sert souvent de bouc émissaire en étant rendue responsable de bien des malheurs de la société. Il raisonne souvent sur un plan purement philosophique, voire dogmatique. Il n'aime pas raisonner de manière rationnelle, et n'est pas très fort en maths. Il se dit ouvert d'esprit, mais il tourne en rond dans des raisonnements d'apparence scientifique mais en réalité dogmatique. Par exemple : "Le nucléaire est une énergie dangereuse, sale et polluante (affirmé comme un dogme, sans donner aucun chiffre ni comparaison des risques réels avec ceux d'autres énergies), donc il ne peut pas être écologique (considéré comme démontré scientifiquement). Bien sûr ce portrait est un peu simpliste et la réalité n'est pas si simple, chaque cas étant différent, mais ce sont des traits de caractère que l'on retrouve souvent chez les anti-nucléaires.

 

Le nucléaire a-t-il une chance de survie face à l'alliance des énergies concurrentes, des écologistes malthusiens et des milieux financiers hostiles aux investissements à long terme?

Oui, bien sûr que le nucléaire non seulement a une chance, mais après l'ère du pétrole, l'humanité connaitra inéluctablement l'ère du nucléaire. Cela tôt ou tard, parce que, comme en France en 1973, lorsque les réserves de pétrole et de gaz se feront rares, nous n'aurons pas le choix : ce sera le nucléaire (et les énergies renouvelables dans toute la mesure du possible) comme énergie de base, ou alors le retour au Moyen-âge.

 

Dans quels pays ou régions du monde le nucléaire a-t-il les meilleures chances de relance?

La renaissance du nucléaire se fera partout dans le monde (à terme) mais surtout, dans un premier temps, dans les pays les plus riches, les pays industriels, et ceux à forte densité de population.

 

La relance du nucléaire est-elle compatible avec la libéralisation des marchés énergétiques?

Oui, mais il est certain qu'un statut public permet de mieux préparer l'avenir et que la libéralisation ne facilite pas (et retarde sans doute) le développement du nucléaire. Dans un monde ou le profit à court terme est recherché avant tout, les investissements lourds (même s'ils sont nécessaires et largement rentables à terme) ne sont pas favorisés. C'est pourquoi on construit encore aujourd'hui tant de turbines à gaz et de centrales à charbon dans le monde (malgré leurs émissions de CO2).

 

Quelles seraient les conséquences d'un abandon du nucléaire dans le monde, par exemple à la suite d'un second Tchernobyl ?

Il en résulterait une augmentation rapide des émissions de CO2 (le charbon serait alors le principal recours) et donc une aggravation considérable du réchauffement climatique. Et surtout, lorsque le pétrole et le gaz (dans quelques années ou deux décennies au plus) manqueront, le monde connaitra une crise gravissime avec le retour possible des guerres, de grandes migrations de population et de famines à grande échelle. En effet nous sommes aujourd'hui totalement dépendants (à 85%) des énergies carbonées(pétrole, gaz, charbon). Que se passera-t-il lorsque cette énergie manquera ? Il faut préparer la relève avant qu'il ne soit trop tard, car la construction d'infrastructures énergétiques demande 15 à 20 ans au moins, qu'il s'agisse de longs gazoducs, d'un programme nucléaire d'ampleur (comme le programme nucléaire français lancé en 1973 achevé en 1999 avec le réacteur Civaux-2, soit 26 ans), qu'il s'agisse encore d'un réseau de raffineries et de pipelines, de construire une flotte de méthaniers et les ports qui vont avec, d'un programme d'isolation des logements à grande échelle ou d'un grand programme éolien. Or on sait déjà qu'il faut s'attendre à une très grave crise pétrolière et gazière internationale avant cela. Il est donc TRES URGENT d'agir.

 

J'en profite pour vous signaler que nous donnons des présentations et conférences captivantes sur ces sujets pour tous publics (des professionnels de l'énergie au grand public).

Une présentation typique (illustrée et animée façon Al Gore) dure environ une heure et peut être suivie de questions/réponses. Nous nous tenons à votre disposition.