(Pierre-René Bauquis à lAG AEPN, déc 2007)
Pourquoi le prix du pétrole atteint il aujourdhui de tels cours ?
En raison dun déséquilibre entre la demande qui continue de croître, malgré la hausse des prix et loffre qui ne suit pas. Au rythme de laugmentation de la demande énergétique actuelle, soit 2% par an, il faudrait en 2035 produire 165 millions de barils jour. On en produit actuellement 85 millions. Dans le futur, on ne pourra guère dépasser les 95-100 millions : cest ce quon appelle le pic de la production pétrolière. Quel que soit largent investi, il sera impossible daller au-delà.
Les prix actuels ne peuvent ils pas générer des capacités dexploration et dextraction additionnelles rentables ?
Oui mais pas assez vite pour accroître les capacités. Les temps de réactions sont très longs dans lindustrie pétrolière. Entre la découverte et la mise en exploitation dun grand champ, il faut une dizaine dannées. Souvent 15 ans. On connaît les dates des mises en exploitation des gisements sur les 5 prochaines années mais cela ne provoquera pas daugmentation significative de la production. On craint même quau-delà des 5 prochaines années, il ny ait plus daugmentation du tout.
La croissance de la Chine et de lInde nest elle pas également un facteur clé ?
La grosse surprise de ces dix dernières années, cest le taux de croissance de la demande ce quon appelle les BRIC, Brésil, Russie, Inde, Chine. Mais si les demandes énergétiques de ces pays avaient crû plus lentement ou plus tard, on aurait quand même eu un problème de pic pétrolier, mais dix ans plus tard. On oublie aussi souvent la croissance très forte des consommations dans les pays où le pétrole est subventionné cest-à-dire les pays producteurs eux-mêmes. Or, cest la plus rapide de toutes.
Jusquoù le prix du baril peut-il monter ? 200$ ?
Il ne faut pas confondre le court terme et le long terme. Il y aura un prix déquilibre à long terme. Dans 20 ou 30 ans, après la crise dajustement, le prix déquilibre sera probablement de lordre de 100$ en dollars constants 2000. Mais avant cela, à plus court terme, il va falloir passer une crise aiguë qui sera probablement déclenchée par un accident politique ; en Iran, en Arabie, au Venezuela, au Nigeria, en Irak Il suffit denlever 3% de la production mondiale du marché pour que les prix passent à 500$ du jour au lendemain. On a du mal à ladmettre mais cest comme ça. Il ny a que très peu délasticité à court terme pour absorber les 3% qui viendraient à manquer. En 1973, le prix a été multiplié par 10, En quelques mois, à cause dun déclencheur artificiel qui était la guerre du Kippour. En 79, il a été de nouveau multiplié par 5 à la chute du Shah. On pense que laccident est la cause or ce nest que le déclencheur.
Vivons nous déjà le 3ème choc pétrolier ?
Le baril était à 25$ en 2003. Ce prix a déjà multiplié par 5. Cest de lampleur dun choc. Mais je pense quil y aura un autre choc, plus fort, qui ne durera pas très longtemps et qui permettra un réel ajustement avec la réalité pétrolière actuelle et future. Il peut y avoir une détente sur les marchés, disons une baisse à 80$ le baril, si aucun accident politique ne survient mais compte tenu de la situation géopolitique dans les régions productrices, cest peu probable. Une province qui fait sécession, un nouveau Biafra par exemple, suffirait à faire exploser les prix et à nous amener à 500 dollars. Un bombardement sur lIran juste avant le départ de Bush nest pas non plus à exclure. Au Venezuela, non seulement la nomenklatura mais une large part de la population est en train de virer contre le Président Chavez. Un mouvement de grande grève dans lindustrie pétrolière est possible. Un choc amenant à 500$ le baril créerait une véritable panique mondiale, mais son mérite serait de rendre possibles les mesures de correction nécessaires : lancement de grands plans en faveur du nucléaire et des autres énergies non carbonées, mise en place de plans de sobriété énergétiques « musclés ».
A t-on pris toute la mesure des changements de société à accomplir ?
Non. Il faudrait en France pour le nucléaire un second « plan Messmer » et léquivalent dans les autres pays. Avec un baril à 500$, les gens ne descendront pas dans la rue pour manifester contre le nucléaire, ils le demanderont. Ils accepteront une taxation très forte sur les véhicules gros consommateurs. Lorsque le prix du litre dessence aura atteint 3 euros à la pompe, lindustrie automobile basculera vers des véhicules peu consommateurs : hybrides rechargeables et voitures urbaines électriques. Le remplacement du parc automobile se fera naturellement. Le principe du bonus-malus adopté dans les accords de Grenelle est excellent même si les niveaux ne sont pas suffisants. Ce quavait décidé lancien maire de Londres, Ken Livingstone, est la bonne approche. A 35 euros par jour le droit de rouler, vous réfléchissez. A 5 ou 10 euros, non. Et à 100 euros par jour, il ne reste plus que 5% de gens très riches qui disent « je men fous ».
On ne récupère que 35% du pétrole dun gisement or une augmentation d1% permet de gagner un an de consommation. La solution nest elle pas daméliorer les techniques de récupération ?
Bien sûr et on aura je pense de bonnes surprises technologiques. Il faudra marier le nucléaire avec le pétrole. Si on veut pousser les taux de récupération, il faut beaucoup dénergie, mais qui ne dégage pas de CO2 sinon cest absurde. Prenons lexemple des sables bitumeux de lAthabasca en Alberta (Canada). Pour fluidifier ces pétroles ultra-lourds, il faut injecteur de la vapeur pour quils puissent devenir liquide. Aujourdhui, ce procédé vous fait perdre léquivalent du quart ou du tiers de la production et vous émettez massivement du CO2. Si vous utilisez un réacteur nucléaire dédié pour fabriquer de la vapeur, car un réacteur nucléaire nest quune grosse bouilloire qui chauffe de leau, vous gagnez sur les deux tableaux. Plus de puissance et moins de CO2. Même les écologistes devraient être daccord là-dessus. Je me considère dailleurs personnellement comme écologiste et suis membre de lAEPN, lassociation des écologistes pour le nucléaire. Certes, le nucléaire présente des risques : terrorisme, tremblements de terre, erreurs humaines mais cest malgré tout lavenir, car on na plus le choix.
Certains parient sur des taux de récupération de 50% !
Cest peut-être possible, mais je répète quil faudra le faire en tenant compte des effets sur le changement climatique. Aujourdhui, on ne sait pas mettre de lénergie dans le sous-sol sans émettre de CO2. Si on y parvient un jour, ce sera trop tard pour changer le pic de production mais cela signifiera que le déclin du pétrole sera doux au lieu dêtre brutal. Mais dans le meilleur des cas, on ne parviendra à la fin du siècle quà la moitié de la production actuelle Et cest un pari très optimiste.
Est il vrai que larctique pourrait recéler le quart des réserves mondiales ?
Cest possible mais peu probable. Jusquà présent, ce sont des régions que lon na pas pu bien explorer en raison des conditions climatiques extrêmes et des glaces permanentes et semi permanentes. Géologiquement, rien ne permet de dire quil y a des réserves très importantes mais rien ne permet de lexclure. Paradoxalement, le réchauffement climatique est en train de faciliter lexploration de ces régions. Mais même de grosses découvertes ne changeraient pas la date du déclin, le fameux pic. Celui-ci surviendra entre 2010 et 2030 selon les bonnes ou les mauvaises nouvelles.
Le gisement gigantesque récemment trouvé au Brésil ny changerait rien non plus donc ?
Les découvertes en 2007 de Tupi puis de Carioca sont prometteuses. Un officiel a parlé de 30 milliards de baril. Cest considérable. Cela serait la plus grande découverte de ces trente dernières années, plus importantes que Kashagan au Kazakhstan. Mais ces gisements ne seront pas en production avant 10 à 15 ans. Cest le temps pour des projets de 10 milliards de dollars ou plus. Cela ne changera probablement rien au pic. Là encore, cela adoucira la descente. On gagnera simplement un cran de la ceinture à serrer.
Les biocarburants devaient être la solution miracle or il faut 200 kg de maïs pour remplir le réservoir dun 4x4 soit de quoi nourrir une personne pendant un an. On comprend mieux quon en revienne
Il faut en fait plus de 200 kg de maïs, mais je ne voudrais pas entrer dans la guerre des chiffres qui est complexe. On a été un peu inconscients sur le potentiel des biocarburants mais le retour de balancier est aujourdhui excessif. On a oublié quon roulait pour 30% à léthanol en France dans les années 30. On rend la culture des biocarburants responsable de la hausse des produits agricoles. Cest exagéré : ils ne sont quun des éléments de cette hausse. Il faut en faire de manière mesurée et réfléchie. Les objectifs de lunion européenne de passer à 10% en 2020 sont très excessifs. Il faudrait viser 5% de notre consommation. Pas plus. Au-delà, on ouvre la porte à une foule de problèmes. A moins de trouver dans les biocarburants de deuxième génération une solution rentable et moins coûteuse, à partir des feuilles ou du bois. Là aussi, beaucoup darticles rappellent lhistoire de Perrette et le pot au lait.
Existe-t-il comme on le dit un problème mondial de capacité de raffinage ?
Cest faux. Cest un mythe entretenu par lOPEP qui de 2005 à 2007 na cessé de répéter que cétait le manque de capacité de raffinage et la spéculation qui faisaient augmenter le cours du brut. Au contraire, dans 5 ou 10 ans, on va se retrouver en surcapacité mondiale de raffinage. Avec des conséquences graves pour cette industrie en Europe et aux USA.
LIndonésie va sortir de lOPEP, est-ce un événement important ?
Non et cest dans la logique des choses. Cela aurait dû arriver bien avant, mais ils sétaient tellement identifiés à LOPEP quils ne voulaient pas admettre quils étaient devenus plus importateurs que producteurs. Rester dans lOPEP allait contre leurs intérêts. LIndonésie va augmenter les prix intérieurs en diminuant les subventions devenues in-finançables. Cela va provoquer des drames sociaux et des soubresauts dans le pays, mais ils nauront pas le choix.
Les compagnies pétrolières font des profits gigantesques, cest mal vu par lopinion, mais y a t-il quelque chose à leur reprocher ?
On peut leur reprocher de ne pas avoir mieux anticipé les problèmes. Les pétroliers nont pas mis en place à temps des équipes compétentes pour mieux évaluer la date du pic pétrolier. Ils sétaient trompés au moment du club de Rome dans les années 70 lorsquils avaient annoncé le déclin du pétrole trop tôt et ça les a traumatisés. Certains comme Exxon-Mobil ont poussé très loin linconscience en lançant en 2006 une campagne publicitaire sur le thème de : « no sign of peak oil ! »
Y a t-il malgré tout des raisons dêtre optimistes pour lavenir ?
Une fois la crise aiguë passée où il y aura récession et chômage massif, cela permettra de changer en profondeur nos modes de transport et même nos modes de vie. Il faudra que lEtat intervienne pour prendre de largent sur les véhicules traditionnels pour le transférer sur les véhicules moins gourmands. Lindustrie automobile suivra si on met en place une mécanique fiscale rentable pour eux. Pour les logements et lisolation, il faudra rehausser les normes disolation et les imposer : là aussi, les questions de financement seront redoutables. Il faudra quil y ait beaucoup plus délectricité dans le mode de chauffage par exemple. Il faudrait lancer dès 2009 la construction d une centrale nucléaire par an en France jusquen 2012 puis deux par an puis trois par an à partir de 2015. Et dans 30 ans, on sera paré.
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