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·   Interview de Pierre-René Bauquis,

·   membre actif de l’Association des Ecologistes Pour le Nucléaire (AEPN – www.ecolo.org) depuis 1998,

·   publiée dans Paris-Match le 15 juin 2008

 

© Photo AEPN – www.ecolo.org

(Pierre-René Bauquis à l’AG AEPN, déc 2007)

 

Pourquoi le prix du pétrole atteint il aujourd’hui de tels cours ?

En raison d’un déséquilibre entre la demande qui continue de croître, malgré la hausse des prix et l’offre qui ne suit pas. Au rythme de l’augmentation de la demande énergétique actuelle, soit 2% par an, il faudrait en 2035 produire 165 millions de barils jour. On en produit actuellement 85 millions. Dans le futur, on ne pourra guère dépasser les 95-100 millions : c’est ce qu’on appelle le pic de la production pétrolière. Quel que soit l’argent investi, il sera impossible d’aller au-delà.

 

Les prix actuels ne peuvent ils pas générer des capacités d’exploration et d’extraction additionnelles rentables ?

Oui mais pas assez vite pour accroître les capacités. Les temps de réactions sont très longs dans l’industrie pétrolière. Entre la découverte et la mise en exploitation d’un grand champ, il faut une dizaine d’années. Souvent 15 ans. On connaît les dates des mises en exploitation des gisements sur les 5 prochaines années mais cela ne provoquera pas d’augmentation significative de la production. On craint même qu’au-delà des 5 prochaines années, il n’y ait plus d’augmentation du tout.

 

La croissance de la Chine et de l’Inde n’est elle pas également un facteur clé ?

La grosse surprise de ces dix dernières années, c’est le taux de croissance de la demande ce qu’on appelle les BRIC, Brésil, Russie, Inde, Chine. Mais si les demandes énergétiques de ces pays avaient crû plus lentement ou plus tard, on aurait quand même eu un problème de pic pétrolier, mais dix ans plus tard. On oublie aussi souvent la croissance très forte des consommations dans les pays où le pétrole est subventionné c’est-à-dire les pays producteurs eux-mêmes. Or, c’est la plus rapide de toutes.

 

Jusqu’où le prix du baril peut-il monter ? 200$ ?

Il ne faut pas confondre le court terme et le long terme. Il y aura un prix d’équilibre à long terme. Dans 20 ou 30 ans, après la crise d’ajustement, le prix d’équilibre sera probablement de l’ordre de 100$ en dollars constants 2000. Mais avant cela, à plus court terme, il va falloir passer une crise aiguë qui sera probablement déclenchée par un accident politique ; en Iran, en Arabie, au Venezuela, au Nigeria, en Irak… Il suffit d’enlever 3% de la production mondiale du marché pour que les prix passent à 500$ du jour au lendemain. On a du mal à l’admettre mais c’est comme ça. Il n’y a que très peu d’élasticité à court terme pour absorber les 3% qui viendraient à manquer. En 1973, le prix a été multiplié par 10, En quelques mois, à cause d’un déclencheur artificiel qui était la guerre du Kippour. En 79, il a été de nouveau multiplié par 5 à la chute du Shah. On pense que l’accident est la cause or ce n’est que le déclencheur.

 

Vivons nous déjà le 3ème choc pétrolier ?

Le baril était à 25$ en 2003. Ce prix a déjà multiplié par 5. C’est de l’ampleur d’un choc. Mais je pense qu’il y aura un autre choc, plus fort, qui ne durera pas très longtemps et qui permettra un réel ajustement avec la réalité pétrolière actuelle et future. Il peut y avoir une détente sur les marchés, disons une baisse à 80$ le baril, si aucun accident politique ne survient mais compte tenu de la situation géopolitique dans les régions productrices, c’est peu probable. Une province qui fait sécession, un nouveau Biafra par exemple, suffirait à faire exploser les prix et à nous amener à 500 dollars. Un bombardement sur l’Iran juste avant le départ de Bush n’est pas non plus à exclure. Au Venezuela, non seulement la nomenklatura mais une large part de la population est en train de virer contre le Président Chavez. Un mouvement de grande grève dans l’industrie pétrolière est possible. Un choc amenant à 500$ le baril créerait une véritable panique mondiale, mais son mérite serait de rendre possibles les mesures de correction nécessaires : lancement de grands plans en faveur du nucléaire et des autres énergies non carbonées, mise en place de plans de sobriété énergétiques « musclés ».

 

A t-on pris toute la mesure des changements de société à accomplir ?

Non. Il faudrait en France pour le nucléaire un second « plan Messmer » et l’équivalent dans les autres pays. Avec un baril à 500$, les gens ne descendront pas dans la rue pour manifester contre le nucléaire, ils le demanderont. Ils accepteront une taxation très forte sur les véhicules gros consommateurs. Lorsque le prix du litre d’essence aura atteint 3 euros à la pompe, l’industrie automobile basculera vers des véhicules peu consommateurs : hybrides rechargeables et voitures urbaines électriques. Le remplacement du parc automobile se fera naturellement. Le principe du bonus-malus adopté dans les accords de Grenelle est excellent même si les niveaux ne sont pas suffisants. Ce qu’avait décidé l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, est la bonne approche. A 35 euros par jour le droit de rouler, vous réfléchissez. A 5 ou 10 euros, non. Et à 100 euros par jour, il ne reste plus que 5% de gens très riches qui disent « je m’en fous ».

 

On ne récupère que 35% du pétrole d’un gisement or une augmentation d’1% permet de gagner un an de consommation. La solution n’est elle pas d’améliorer les techniques de récupération ?

Bien sûr et on aura je pense de bonnes surprises technologiques. Il faudra marier le nucléaire avec le pétrole. Si on veut pousser les taux de récupération, il faut beaucoup d’énergie, mais qui ne dégage pas de CO2 sinon c’est absurde. Prenons l’exemple des sables bitumeux de l’Athabasca en Alberta (Canada). Pour fluidifier ces pétroles ultra-lourds, il faut injecteur de la vapeur pour qu’ils puissent devenir liquide. Aujourd’hui, ce procédé vous fait perdre l’équivalent du quart ou du tiers de la production et vous émettez massivement du CO2. Si vous utilisez un réacteur nucléaire dédié pour fabriquer de la vapeur, car un réacteur nucléaire n’est qu’une grosse bouilloire qui chauffe de l’eau, vous gagnez sur les deux tableaux. Plus de puissance et moins de CO2. Même les écologistes devraient être d’accord là-dessus. Je me considère d’ailleurs personnellement comme écologiste et suis membre de l’AEPN, l’association des écologistes pour le nucléaire. Certes, le nucléaire présente des risques : terrorisme, tremblements de terre, erreurs humaines mais c’est malgré tout l’avenir, car on n’a plus le choix.

 

Certains parient sur des taux de récupération de 50% !

C’est peut-être possible, mais je répète qu’il faudra le faire en tenant compte des effets sur le changement climatique. Aujourd’hui, on ne sait pas mettre de l’énergie dans le sous-sol sans émettre de CO2. Si on y parvient un jour, ce sera trop tard pour changer le pic de production mais cela signifiera que le déclin du pétrole sera doux au lieu d’être brutal. Mais dans le meilleur des cas, on ne parviendra à la fin du siècle qu’à la moitié de la production actuelle… Et c’est un pari très optimiste.

 

Est il vrai que l’arctique pourrait recéler le quart des réserves mondiales ?

C’est possible mais peu probable. Jusqu’à présent, ce sont des régions que l’on n’a pas pu bien explorer en raison des conditions climatiques extrêmes et des glaces permanentes et semi permanentes. Géologiquement, rien ne permet de dire qu’il y a des réserves très importantes mais rien ne permet de l’exclure. Paradoxalement, le réchauffement climatique est en train de faciliter l’exploration de ces régions. Mais même de grosses découvertes ne changeraient pas la date du déclin, le fameux pic. Celui-ci surviendra entre 2010 et 2030 selon les bonnes ou les mauvaises nouvelles.

 

Le gisement gigantesque récemment trouvé au Brésil n’y changerait rien non plus donc ?

Les découvertes en 2007 de Tupi puis de Carioca sont prometteuses. Un officiel a parlé de 30 milliards de baril. C’est considérable. Cela serait la plus grande découverte de ces trente dernières années, plus importantes que Kashagan au Kazakhstan. Mais ces gisements ne seront pas en production avant 10 à 15 ans. C’est le temps pour des projets de 10 milliards de dollars ou plus. Cela ne changera probablement rien au pic. Là encore, cela adoucira la descente. On gagnera simplement un cran de la ceinture à serrer.

 

Les biocarburants devaient être la solution miracle or il faut 200 kg de maïs pour remplir le réservoir d’un 4x4 soit de quoi nourrir une personne pendant un an. On comprend mieux qu’on en revienne…

Il faut en fait plus de 200 kg de maïs, mais je ne voudrais pas entrer dans la guerre des chiffres qui est complexe. On a été un peu inconscients sur le potentiel des biocarburants mais le retour de balancier est aujourd’hui excessif. On a oublié qu’on roulait pour 30% à l’éthanol en France dans les années 30. On rend la culture des biocarburants responsable de la hausse des produits agricoles. C’est exagéré : ils ne sont qu’un des éléments de cette hausse. Il faut en faire de manière mesurée et réfléchie. Les objectifs de l’union européenne de passer à 10% en 2020 sont très excessifs. Il faudrait viser 5% de notre consommation. Pas plus. Au-delà, on ouvre la porte à une foule de problèmes. A moins de trouver dans les biocarburants de deuxième génération une solution rentable et moins coûteuse, à partir des feuilles ou du bois. Là aussi, beaucoup d’articles rappellent l’histoire de Perrette et le pot au lait.

 

Existe-t-il comme on le dit un problème mondial de capacité de raffinage ?

C’est faux. C’est un mythe entretenu par l’OPEP qui de 2005 à 2007 n’a cessé de répéter que c’était le manque de capacité de raffinage et la spéculation qui faisaient augmenter le cours du brut. Au contraire, dans 5 ou 10 ans, on va se retrouver en surcapacité mondiale de raffinage. Avec des conséquences graves pour cette industrie en Europe et aux USA.

 

L’Indonésie va sortir de l’OPEP, est-ce un événement important ?

Non et c’est dans la logique des choses. Cela aurait dû arriver bien avant, mais ils s’étaient tellement identifiés à L’OPEP qu’ils ne voulaient pas admettre qu’ils étaient devenus plus importateurs que producteurs. Rester dans l’OPEP allait contre leurs intérêts. L’Indonésie va augmenter les prix intérieurs en diminuant les subventions devenues in-finançables. Cela va provoquer des drames sociaux et des soubresauts dans le pays, mais ils n’auront pas le choix.

 

Les compagnies pétrolières font des profits gigantesques, c’est mal vu par l’opinion, mais y a t-il quelque chose à leur reprocher ?

On peut leur reprocher de ne pas avoir mieux anticipé les problèmes. Les pétroliers n’ont pas mis en place à temps des équipes compétentes pour mieux évaluer la date du pic pétrolier. Ils s’étaient trompés au moment du club de Rome dans les années 70 lorsqu’ils avaient annoncé le déclin du pétrole trop tôt et ça les a traumatisés. Certains comme Exxon-Mobil ont poussé très loin l’inconscience en lançant en 2006 une campagne publicitaire sur le thème de : « no sign of peak oil ! »

 

Y a t-il malgré tout des raisons d’être optimistes pour l’avenir ?

Une fois la crise aiguë passée où il y aura récession et chômage massif, cela permettra de changer en profondeur nos modes de transport et même nos modes de vie. Il faudra que l’Etat intervienne pour prendre de l’argent sur les véhicules traditionnels pour le transférer sur les véhicules moins gourmands. L’industrie automobile suivra si on met en place une mécanique fiscale rentable pour eux. Pour les logements et l’isolation, il faudra rehausser les normes d’isolation et les imposer : là aussi, les questions de financement seront redoutables. Il faudra qu’il y ait beaucoup plus d’électricité dans le mode de chauffage par exemple. Il faudrait lancer dès 2009 la construction d une centrale nucléaire par an en France jusqu’en 2012 puis deux par an puis trois par an à partir de 2015.  Et dans 30 ans, on sera paré.

 

Cette entrevue a été publiée dans Paris-Match le 15 juin 2008

 

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© Tous droits réservés, interview reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur et de la revue, consultable sur :

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