Paris le 24 janvier 2002
Jacques FROT
Monsieur Jean-Pierre PERNAULT
Présentateur TF1
1, Quai du Point du Jour
92100 BOULOGNE-BILLANCOURT
Objet : Tchernobyl " Le Jour où "
Monsieur,
Jai lu votre article dans le N° de Paris-Match du 17 janvier. Ayant, depuis quil sest produit, très longuement étudié le drame de Tchernobyl et les dommages sanitaires quil entraîna je souhaite vous apporter quelques compléments dinformation.
La vérité sur les conséquence sanitaires de laccident de Tchernobyl a nécessité des années de recherches médicales et scientifiques. Elles furent conduites, vous le savez certainement, par lUNSCEAR, le Comité Scientifique des Nations Unies sur les Effets des Rayonnements Atomiques, créé en 1955 et composé de représentants de 21 pays : son rapport davril 2000 (2 gros volumes) présente la somme des 5 dernières années de validation et de compilation de toutes les données scientifiques existantes.
Jen extrais ci-dessous quelques phrases de son § 398 :
" En dehors de laccroissement important du cancer de la thyroïde chez les jeunes contaminés, il ny a pas dévidence dun impact majeur sur la santé publique lié aux radiations ionisantes, 14 ans après laccident Le risque de leucémie . ne paraît pas accru même chez les liquidateurs , ni chez les enfants. Il ny a aucune preuve scientifique dautres désordres non malins, somatiques ou mentaux liés aux rayons ionisants. "
Je suis surpris quun travail aussi important, et dont les conclusions génèrent de la sérénité, ne soit pas mentionné dans votre article. Notons au passage que ces cancers de la thyroïde (environ 2000 à ce jour, en quasi totalité non mortels) qui frappèrent les jeunes étaient tous évitables et ceci par des mesures très simples.
Mais les travaux de lUNSCEAR ne portent que sur les rayons ionisants. Ils montrent que là nest pas le drame.
Le drame, gigantesque et évitable, ce sont le évacués qui lont connu. Ces malheureux déracinés, dont une moitié furent évacués trop tard et lautre moitié inutilement, furent en grand nombre plongés dans la détresse psychologique, la malnutrition, linconfort le plus sévère, en un mot le désespoir ; ils furent alors victimes de maladies graves qui nont rien à voir avec les radiations, furent souvent conduits à lalcoolisme, à la violence et à la mort violente voire au suicide. Le nombre de décès est inconnu mais probablement très important. Il est clair maintenant que cest la conséquence sanitaire majeure de laccident.
Il est important de faire connaître au Grand Public au moins les deux éléments fondamentaux suivants : (1) laccident sest produit faute dune bonne culture de sûreté adaptée à lexploitation de réacteurs nucléaires ; (2) laccident sétant produit, les dommages sanitaires qui sensuivirent nen sont pas une conséquence inévitable, il était facile de les éviter.
Laccident de Tchernobyl est infiniment plus un accident soviétique quun accident nucléaire.
Votre article doit-il me conduire à réviser le jugement favorable que je portais sur vous que je considérais comme un journaliste sachant à la fois informer et distraire ?
Sur un sujet aussi grave que le drame de Tchernobyl le journaliste doit, plus encore quen dautres circonstances, sinterdire le sensationnalisme propre à cultiver chez le lecteur, ou lauditeur, ou le téléspectateur une peur malsaine et injustifiée. Il doit simposer la rigueur scientifique indispensable à la recherche et à la communication de la vérité. Je nai pas trouvé, dans votre article, ce souci de rigueur. Cest dommage, cest grave, cest inquiétant.
Il existe aujourdhui un abîme entre la réalité des conséquences sanitaires de Tchnernobyl et la perception quen a le Grand Public. Il appartient aux médias de le combler, non pas de continuer à le creuser.
Avec lassurance de mes meilleurs sentiments.
Jacques FROT
Ex Directeur au Groupe MOBIL OIL
Membre de la Société Française dÉnergie Nucléaire
Cc M. le Professeur Maurice TUBIANA
M. le Professeur André AURENGO
M. D. BAUDIS Président du CSA
M. VIEILLARD-BARON Délégué Général de la SFEN
M. Martin BOUYGUES
Paris-Match