Jacques FROT

 

Paris le 21 mai 2001

 

 

A l'attention du FIGARO

 

 

Objet: Article de Caroline de Malet dans Le Figaro économie du 18 mai 2001

"Atome, effet de serre et paradoxes"

 

 Monsieur,

L'article de Caroline de Malet contient un certain nombre d'inexactitudes qu'il faut corriger vu la gravité du problème qu'il traite : l'accroissement de l'effet de serre. Mais, au delà de cet aspect polémique traité brièvement il est bon d'examiner la question avec un maximum d'objectivité.

Le nucléaire civil pèse aujourd'hui 7%, et non pas 3,5%, du bilan énergétique mondial. Comme il n'émet pas de Gaz Effet de Serre (G.E.S.) il en réduit d'autant les émissions : ainsi le nucléaire civil évite chaque année l'émission vers l'atmosphère de 2,5 milliards de tonnes de CO2 qui, pour la moitié, y séjourneraient environ 100 ans. Si le nucléaire pesait 2 ou 3 fois plus c'est évidemment 2 ou 3 fois plus de CO2 (et autres G.E.S.)qui nous seraient épargnés.

Quant au délai de construction d'un réacteur les Japonais en sont à 5 ans (et non pas 10) et prévoient de le ramener prochainement à 4 ans.  

L'accroissement de l'efficacité énergétique, évoqué par Caroline de Malet est un objectif sain, ambitieux car difficile à atteindre mais raisonnablement applicable aux pays développés. L'étude énergie 2010-2020 du Commissariat au Plan montre, pour la France, un gisement d'économies d'énergie de 43% avec les techniques et technologies disponibles en 1995. Il est vraisemblable que le potentiel d'économie est du même ordre pour les autres pays développés et plus encore pour les USA.  

Mais, à ce propos, deux remarques s'imposent :  

1ère remarque : réaliser de telles économies suppose d'énormes modifications dans les infrastructures, dans l'habitat, dans le matériel électroménager ; cela prendra donc beaucoup de temps et supposera une acceptation de changement de mode de vie, en particulier sur les transports. Et ces énormes modifications coûteront plus cher, beaucoup plus cher, que les centrales nucléaires susceptibles de fournir l'énergie ainsi économisée. Et elles demanderont, contrairement à ce que pense Caroline Malet, beaucoup plus de temps que la construction de centrales nucléaires. Or il y a urgence.

2ème remarque : les pays en développement, soit les 3/4 de la population mondiale, ne consomment guère aujourd'hui que 1/4 de l'énergie mondiale. Il est donc difficile -outrecuidant- que les riches osent leur parler d'efficacité énergétique avant d'en avoir fait eux-mêmes l'effort. Si les riches ne font pas cet effort il est à craindre que le développement des pauvres ne se fasse -comme pour les pays développés depuis 1850- dans un contexte de gaspillage énergétique.

Ceci dit supposons que les riches fassent l'effort, sur le demi à siècle à venir c-à-d d'ici 2050, de réduire de 40% (cf étude énergie 2010-2020 citée ci-dessus) leur consommation énergétique par habitant, la ramenant ainsi de 5 tonnes équivalent pétrole par an et par habitant à 3 tep/an/hab. Supposons également que les pays en développement parviennent en 2050 à se développer au point de consommer, eux aussi, 3 tep/an/hab. Supposons enfin que la population mondiale après un pic à 8 milliards se stabilise à son niveau actuel de 6 milliards d'habitants (c'est le pronostic des démographes les plus optomistes). La consommation mondiale d'énergie sera alors de 18 milliards de tep/an (Gtep/an) soit le double de l'actuelle.

L'étude énergie 2010-2020 ,citée plus haut et dont il n'est pas certain que Caroline Malet ait eu le loisir d'en prendre connaissance, précise que la teneur de notre atmosphère a crû de 1/3 depuis l'aube de l'ère industrielle et que réduire de 50% les émissions de G.E.S dues aux combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) ne permettraient pas mieux que de stabiliser la teneur de l'atmosphère en G.E.S à l'horizon 2100 à une valeur encore nettement supérieure(+ 20 à 30%) à l'actuelle donc encore plus dangereuse pour le climat.

Il serait intéressant que Caroline Malet, dans un prochain article, nous explique comment les hommes pourraient consommer 18 Gtep/an (donc 40% de moins par habitant que le rythme de consommation des riches d'aujourd'hui (cf étude énergie 2010-2020) et, simultanément, réduire de moitié leurs émissions de G.E.S., sans un nucléaire largement développé, fabriquant de l'électricité bien sûr mais également de l'hydrogène et permettant une co-génération proche des grands centres gros consommateurs de chauffage (Mr Carnot a fait du chauffage électrique, même nucléaire, une aberration). Elle pourra également nous expliquer comment donner l'électricité aux 2 milliards d'hommes (1/3 de la population mondiale) qui ne l'ont pas encore. Les énergies nouvelles renouvelables (ENR), très abondantes mais " douces* " même exploitées au maximum et sans souci des contraintes de coûts (elles sont chères car " douces* ") couvriront difficilement, même à coût très élevé donc retardateur pour le développement, plus de 10%, peut-être 15%, de cette gigantesque demande. Mais c'est toujours bon à prendre et il faut le prendre.  

Le nucléaire civil est incontournable. Il est opérationnel dans les pays riches. Malheureusement les réacteurs aujourd'hui bien maîtrisés ne sont pas adaptés à beaucoup de pays en voie de développement car ils sont trop gros pour une population souvent disséminées, coûtent trop cher en investissement (même si le kWh qu'ils produisent est très compétitif), et demandent une culture de sûreté trop souvent absente des pays pauvres. La communauté nucléaire civil (les riches) serait bien inspirée de développer le plus rapidement possible des petits réacteurs à sûreté passive au maximum et durant les quelques décennies qu'exigera ce développement, d'aider les pays en développement à créer chez eux une culture de sûreté. Ces nouveaux gros consommateurs d'énergie deviendraient alors " éligibles " au nucléaire.

En bref : l'efficacité énergétique est indispensable, les énergies renouvelables également. Mais elles ne sont pas suffisante, tant s'en faut. Au delà d'elles les hommes devront choisir entre l'accroissement de l'effet de serre et le nucléaire.

Jacques FROT