LES RESSOURCES DE COMBUSTIBLES NUCLÉAIRES

 

Par Jacques FROT

 

Dans un précédent message nous avons vu que la France en particulier, l’Europe plus généralement, et finalement le monde entier sont vulnérables au tarissement prochain -quelques décennies, au mieux un siècle- des ressources d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel, soit les 2/3 du bilan énergétique mondial actuel). Cette quasi certitude impose de « chercher autre chose ».

Nous avons vu, également, que, de toutes façons, les craintes relatives aux changements climatiques imposent de réduire drastiquement et dès maintenant les consommations d’hydrocarbures.

 

Les économies d’énergie peuvent à terme (il y faudra 1 ou 2 générations) participer de façon très significative qui se chiffre en dizaines de % à la solution de ce problème dans les pays développés ; mais à l’évidence on ne peut espérer des économies sur l’énergie que ne consomment pas les Pays en voie de développement (PVD) ; par contre l’éolien, le solaire et la bio-masse peuvent faire, dans ces pays émergents et pour quelques décennies, des apports certes marginaux mais significatifs et qu’il ne faut pas négliger d’autant plus qu’ils n’engendrent pas de gaz à effet de serre. Ajoutons que les pays riches pourraient dès maintenant faire œuvre très utile en aidant les PVD à se développer dans un contexte de bonne efficacité énergétique c’est à dire avec un gaspillage minimum.

 

En dehors des économies d’énergie, le seul substitut massif potentiel aux ressources fossiles carbonées est le nucléaire. Substitut possible et immédiat dans certains pays de l’OCDE qui n’y font pas encore appel ou qui l’utilisent peu. Substitut ultérieur (dans quelques décennies ?) lorsque le nucléaire sera adapté aux PVD avec des réacteurs plus petits, à sécurité intrinsèque et quand ces PVD auront atteint un bon niveau de culture de sûreté.

 

Encore faudra-t-il que les ressources de combustibles nucléaires le permettent. C’est la question à laquelle nous nous proposons de répondre ici.

 

Un point de repère

Si, comme cela est couramment repris par les experts, la croûte terrestre recèle en moyenne 3g d’uranium métal par tonne cela représente 12 000 milliards de tonnes d’uranium naturel (12 x 10^12) auxquelles il faut ajouter l’uranium présent dans l’eau de mer pour 4 minuscules milliards de tonnes à raison de 3mg/M3 d’eau. Quantités gigantesques (même les 4 petits milliards de tonnes de l’eau de mer) et quasi inépuisables. Mais, bien sûr, elles sont fort loin d’être entièrement accessibles.

Ces chiffres ne sont qu’un repère destiné à être confronté aux moins de 40 000 tonnes (0,00004 milliards de tonnes) de consommation mondiale annuelle d’uranium naturel en l’an 2000 avec des réacteurs à neutrons thermiques dont nous verrons plus loin, au § 5, qu’ils sont un formidable outil….de gaspillage de l’uranium

 

 

  1. Les ressources mondiales d’uranium « conventionnelles » connues, accessibles aux conditions économiques actuelles, sont évaluées à près de 4 000 000 de tonnes soit environ 100 ans de consommation actuelle. Le terme conventionnelles s’applique aux ressources d’uranium accessibles par les techniques minières traditionnelles.

Notons ici que les réserves prouvées de pétrole n’ont jamais dépassé 45 ans et celles de gaz naturel une bonne soixantaine d’années. Il en est de l’uranium comme du pétrole ou du gaz : disposer de réserves importantes suppose l’anticipation onéreuse et non justifiée d’un très lourd investissement dont le financement n’est alors plus disponible pour la satisfaction d’autres besoins plus urgents.

 

Un quadruplement du coût d’accès à l’uranium permettrait d’en accroître notablement les réserves connues et n’aurait pas plus d’impact sur le coût du kWh nucléaire qu’une augmentation de 3$/baril de pétrole (fluctuation de nos jours couramment hebdomadaire) sur le coût du kWh pétrolier. Rappelons à ce propos que le prix du pétrole est passé en moins de 18 mois (1998-1999) de moins de 10$/bbl à plus de 30$. L’impact d’un tel soubresaut sur le coût de l’électricité pétrolière est du même ordre que celui d’une multiplication par 20 du coût d’accès au minerai d’uranium sur le coût du kWh nucléaire.

Accepter un coût d’accès à l’uranium plus élevé c’est s’ouvrir les ressources de minerais moins riches.

  1. Les ressources secondaires d’uranium sont de l’ordre de 1 million de tonnes et correspondent aux stocks civils existants, aux stocks militaires excédentaires disponibles pour conversion en combustible civil et aux stocks d’uranium appauvri disponibles pour ré-enrichissement lorsque les conditions économiques le justifieront. Elles ajoutent 25 ans aux 100 années du § 1.
  2. Les ressources mondiales d’uranium « conventionnelles » probables mais non découvertes à ce jour sont évaluées à 12 millions de tonnes. A nouveau le terme conventionnelles suppose que l’on se cantonne à l’usage des techniques minières traditionnelles. Elles représentent quelques siècles supplémentaires de ressources mais sont largement spéculatives, le 12ème million de tonnes plus que le 1er bien entendu.
  3. Les ressources d’uranium non conventionnelles . Leur existence est certaine. Mais ces ressources ne sont accessibles que par d’autres méthodes industrielles dont les coûts d’exploitation ne sont pas précisément évalués mais qui conduisent à des coûts d’accès à l’uranium à coup sûr nettement plus élevés. Il s’agit de l’uranium contenu dans les phosphates (plus de 20 millions de tonnes) et de celui contenu dans l’eau de mer, de l’ordre de 4 milliards de tonnes à raison de 3 mg/M3. L’extraction de l’uranium de l’eau de mer a déjà été pratiquée en laboratoire : on pense que le coût de revient serait de l’ordre de 5 à 10 fois le coût d’accès aux minerais « traditionnels » actuellement exploités. Même à un tel coût l’impact sur le coût du  kWh nucléaire ne serait pas plus lourd que + 10$/bbl sur le coût du kWh pétrolier.

Le délai de mise en œuvre des techniques qui permettront l’exploitation de ces ressources (uranium des phosphate et de l’eau de mer) est plus que couvert par les plus de 100 années de ressources connues. Il est donc peu probable que l’on trouve prochainement une justification économique à investir en Recherche et Développement pour les exploiter.

  1. Les ressources d’uranium associées à l’élimination du gaspillage. A une exception près (le réacteur russe BN 600), les quelque 450 réacteurs exploités aujourd’hui dans le monde sont des réacteurs à neutrons thermiques. Ces réacteurs n’utilisent guère que 1% du potentiel énergétique contenu dans le combustible nucléaire. L’uranium naturel est en effet composé de 0,7% d’uranium 235 fissile et de 99,3% d’uranium 238 non fissile mais fertile.

Au contraire les réacteurs à neutrons rapides sont capables de rendre fissile l’uranium 238 en le convertissant principalement en plutonium 239. Il y a là, dans le contexte de la préoccupation maintenant universelle de développement durable,  un formidable gisement d’économie d’uranium c’est-à-dire de ressource énergétique. Les experts y voient une multiplication par environ 70 (entre 50 et 100 selon les filières de réacteurs rapides) du potentiel énergétique contenu dans les ressources connues d’uranium. Le siècle de ressources indiqué au § 1 devient 7 millénaires et les quelques siècles de ressources connues et probables décrites aux § 1, 2 et 3 deviennent ainsi quelques dizaines de millénaires (sans faire appel à l’uranium des phosphates et de l’eau de mer).

Les scientifiques et les gouvernements des pays développés ont bien compris cela puisque le groupe « Generation IV » de 10 pays (dont la France) qui se lance de façon dynamique dans l’étude des réacteurs du futur a sélectionné 3 filières de réacteurs rapides parmi les 6 filières qui vont être évaluées.

Même l’Inde considère les filières rapides comme incontournables, à telle enseigne qu’elle vient de décider la construction d’un réacteur rapide de 500 MWe. Cette décision fut prise surtout parce que l’Inde possède peu d’uranium mais de vastes gisements de thorium qu’elle veut valoriser par la filière rapide.

  1. Les ressources de thorium.  Comme l’uranium 238, le thorium 232 n’est pas fissile mais il est fertile est peut être converti en uranium 233, matériau. Le thorium est très abondant : de l’ordre de 3 fois plus que l’uranium. Son utilisation n’est pas encore du domaine industriel mais apparaîtra certainement avec certaines filières de réacteurs du futur. Même si l’abondance naturelle de l’uranium n’impose pas d’y faire appel avant bien longtemps le thorium pourrait trouver sa voie dans des filières encore plus sûres que les filières à uranium (par exemple le réacteur de Carlos Rubia).

 

 

CONCLUSION

La nature nous offre beaucoup d’uranium : il y en a vraisemblablement pour des siècles si les hommes persistent à le gaspiller avec des réacteurs à neutrons thermiques ; et pour des millénaires voire des dizaines de millénaires s’ils se convertissent à des filières susceptibles d’en valoriser tout le potentiel énergétique. 

Cette générosité « uranifère » de la nature est une bonne raison pour penser qu’il y aura matière, sur le plan des ressources, à développer le nucléaire dans le monde.

Le souci de bâtir un développement durable impose un vigoureux effort de R & D en vue d’un développement aussi prochain que possible des filières de réacteurs à neutrons rapides.

Et les ressources de thorium, plus abondantes encore que celles d’uranium, permettent de spéculer sur la disparition de l’espèce humaine avant qu’elle n’ait épuisé les ressources de matériaux fissiles et fertiles…… !!!

 

                                                Jacques FROT

                                                Ingénieur pétrolier

                                                Ancien Directeur dans le Groupe Pétrolier MOBIL OIL

                                                Animateur de GR.COM Groupe de COMmunication

                                                de l’AEPN Association des Ecologistes Pour le NUcléaire

 

 

Bibliographie

R. Price, J.R. Blaise NEA News 2002 – N° 20.2

P.R. Bauquis « Un point de vue sur les besoins et les approvisionnements en énergie à l’horizon 2050 »

J. Frot « Nucléaire et Environnement » juin 2002