Les ressources énergétiques de la fission et de la fusion nucléaires

Note de Georges Vendryes, Septembre 2001

 

La physique nucléaire enseigne qu'il existe en principe deux voies possibles pour extraire des noyaux atomiques de grandes quantités d'énergie utilisables en pratique: l'une met en oeuvre la fusion des noyaux les plus légers (isotopes de l'hydrogène), l'autre la fission des plus lourds présents sur notre planète (en premier lieu l'uranium). Il s'agit dans les deux cas de sources extrêmement concentrées. La fission complète d'un gramme d'uranium dégage autant de chaleur que la combustion de deux tonnes de pétrole, la fusion complète d'un gramme de deutérium quatre fois plus.

A ce jour seule la fission des noyaux lourds a fait l'objet d'une démonstration industrielle et économique à grande échelle. Elle doit de pouvoir être exploitée à l'existence dans l'uranium naturel d'une très faible proportion (0,7%) de l'isotope 235U, seul aisément fissile. Dans l'uranium placé au coeur d'un réacteur nucléaire on entretient des réactions en chaîne de fissions provoquées par des neutrons. La plupart des réacteurs en service sont chargés avec de l'uranium préalablement enrichi jusqu'à 3% d'235U dans une usine de séparation isotopique.

La quantité totale d'uranium extraite du sol jusqu'à la fin du vingtième siècle se monte à deux millions de tonnes. Sur ce total 1,2 millions de tonnes ont servi à fabriquer le combustible destiné à des centrales nucléaires, dont la production cumulée d'électricité s'est élevée à 40000 TWh, en majeure partie durant le dernier quart de siécle. En 2000, les 450 centrales nucléaires en service dans le monde ont fourni 2500 TWh, ce qui représente 16% de la production mondiale totale d'électricité.

Au début du 21e siècle les réserves reconnues d'uranium en terre se montent à 2,5 ou 3,5 millions de tonnes, selon que leur coût d'extraction ne dépasse pas 90 ou 150 euros par kilog (à noter que le cours actuel de l'uranium sur le marché mondial est voisin de 40 euros/kg). Il convient d'y ajouter des ressources au moins équivalentes provenant de gisements dont l'existence est connue ou rendue très vraisemblable par des considérations géologiques, mais sans qu'ils aient été à ce jour prospectés ni même convenablement répertoriés.

Dans les réacteurs nucléaires les plus récents, il est possible de consommer par fission jusqu'à 1% de la quantité d'uranium naturel qui a servi à leur alimentation, ce qui signifie une proportion double de celle qui a été atteinte en moyenne dans le passé. Dans ces conditions, l'énergie nucléaire de fission disponible représente un potentiel de production d'électricité qui vaut environ dix fois le total qu'elle a fourni jusqu'ici.

Avec des hypothèses raisonnables concernant la demande future mondiale d'électricité et la contribution de l'énergie nucléaire pour y répondre, et sans même évoquer d'autres usages possibles de cette dernière (production d'hydrogène, dessalement de l'eau de mer, etc¼ ), on constate que les ressources en uranium accessibles à un coût inférieur à 150 euros/kg pourraient permettre de faire face aux besoins du 21e siècle, mais sans aller guère plus loin.

Au delà, l'avenir de l'énergie nucléaire de fission repose sur l'emploi généralisé d'un nouveau type de réacteurs, qualifiés de surgénérateurs. Par l'intermédiaire de la transmutation progressive de l'238U en plutonium ces derniers offrent la possibilité de dégager, non plus le centième, mais la majeure partie (mettons la moitié en pratique) de l'énergie de fission que recèle l'uranium naturel.

Un certain nombre de prototypes ont déjà apporté la démonstration industrielle de cette technique. Toutefois, du fait de leur coût d'investissement sensiblement plus élevé, la compétitivité économique des surgénérateurs avec les réacteurs actuels ne sera acquise que lorsque le prix de l'uranium naturel atteindra environ 100 euros par kg.

Le recours aux surgénérateurs permettra de tirer également parti de l'énergie de fission du thorium (par l'intermédiaire de sa transmutation en 233U). Les gisements de thorium, quoique moins bien répertoriés que ceux de l'uranium, sont au moins aussi abondants.

Enfin et surtout, il sera alors possible de faire appel à des minerais très pauvres, dont l'utilisation pour alimenter les réacteurs actuels ne peut être envisagée pour des raisons économiques. Par contre elle deviendra justifiée dans le cas des surgénérateurs, où le prix de l'uranium naturel ne joue qu'un rôle tout à fait marginal dans le coût du KWh. Les ressources augmenteront alors considérablement. Par exemple les gisements de phosphates existants pourraient contenir des dizaines de millions de tonnes d'uranium, à une teneur ne dépassant pas un dix-millième en poids,.

A la limite on peut songer à extraire l'uranium de l'eau de mer, qui en contient 3,3 mg par m3. Son coût d'extraction serait d'au moins 300 euros par kg. La quantité d'uranium présente dans l'ensemble des océans du globe s'élève à 4000 millions de tonnes. Utilisée dans des surgénérateurs, elle représenterait un potentiel énergétique d'environ 106 Q, où Q désigne la quantité totale d'énergie primaire consommée dans le monde en 2000, sous n'importe quelle forme, soit l'équivalent de dix milliards de tonnes de pétrole..

Pour domestiquer la fusion, deux approches existent. Celle dite du "confinement inertiel" met en oeuvre des faisceaux de rayons laser de haute énergie projetés à une cadence très élevée sur de minuscules billes en deutérium. L'autre méthode, qui semble plus prometteuse en vue de la réalisation d'une centrale industrielle, utilise le confinement magnétique du milieu réactionnel (un gaz très ténu d'hydrogène complètement ionisé, ce qu'on appelle un plasma).

En fait ce n'est pas avec l'hydrogène lui-même qu'on peut opérer, mais avec son isotope de masse atomique double, le deutérium 2H, présent dans l'hydrogène naturel à raison de 1 atome sur 6700. Pour que des réactions thermonucléaires de fusion s'autoentretiennent dans un plasma de deutérium, sa température doit être portée à environ 500 millions de degrés centigrades.

Une étape intermédiaire, mais déjà ambitieuse, consiste à utiliser non pas du deutérium pur, mais un mélange de deutérium et de tritium, auquel cas la température du milieu peut être réduite d'un facteur 5, ce qui signifie néanmoins 100 millions de degrés. Le tritium 3H, isotope de masse atomique 3 de l'hydrogène, est radioactif (avec une période de 12,3 ans) et il doit donc être régénéré en permanence. Pour ce faire, le plus simple est d'utiliser une réaction nucléaire bien connue qui, sous l'impact d'un neutron, forme un noyau de 3H à partir d'un noyau de 6Li, ce dernier constituant 7,5% du lithium naturel.

Des progrès spectaculaires sur la voie de la fusion thermonucléaire ont été accomplis tout au long de la deuxième moitié du 20e siècle. Cependant , malgré des programmes intensifs de recherches à l'échelle mondiale, on n'est pas encore parvenu à produire au laboratoire un plasma d'hydrogène réunissant toutes les conditions requises pour être le siège de réactions thermonucléaires autoentretenues. La réalisation industrielle de centrales à fusion demeure donc aujourd'hui incertaine, et on peut encore moins se prononcer sur leur capacité à produire de l'électricité à un coût acceptable. Il faut espérer que l'objectif sera atteint un jour, mais il est peu vraisemblable que ce soit avant la fin du 21e siècle.

Ce jour-là, l'humanité disposera d'une source d'énergie véritablement inépuisable. Chaque litre d'eau de mer contient 33 mg de deutérium, dont le coût d'extraction par séparation isotopique revient à 4000 euros par kg (mais, comme nous l'avons déjà noté dans le cas des surgénérateurs, le prix de la matière première constituant le combustible ne représentera ici qu'une part négligeable du coût du KWh). Le volume des océans renferme ainsi, si la fusion complète du deutérium est possible, un potentiel énergétique dont l'ordre de grandeur atteint 1010 Q.

Dans le cas de la formule deutérium/tritium, les perspectives énergétiques qu'offre la fusion sont déterminées par l'importance des ressources en lithium. Les gisements terrestres de ce métal, encore mal recensés, semblent être du même ordre de grandeur que ceux de l'uranium. C'est finalement au lithium présent dans l'eau de mer (à raison de 0,17 g par m3) qu'il conviendra de faire appel. Le potentiel énergétique de la fusion thermonucléaire mettant en oeuvre le lithium contenu dans les océans est voisin de 107 Q.