Article publié dans la revue : Radioprotection, GEDIM 1991, Vol. 26, N° 1, pages 89 et 90

Le plutonium, c'est naturel !

En 1983, Henri FRANCOIS publiait un livre au titre percutant "La radioactivité, c'est naturel" (1). Dans la préface de ce livre, Jean DEBIESSE écrivait : "Nous vivons sur la terre grâce à un réacteur nucléaire : le soleil. Le sol de notre planète est imbibé de noyaux naturellement radioactifs. Il y a une radioactivité naturelle partout : en nous et autour de nous. Cette radioactivité existe depuis que le monde est monde, mais nous ne savions pas la déceler jusqu'au début du siècle. Il faut s'initier à ce monde nucléaire qui s'entrouvre". Force est de constater que cette initiation reste encore très superficielle.

Les médias ont, certes, récemment braqué leurs projecteurs sur le radon, gaz radioactif naturel, présent à des concentrations élevées dans certaines habitations. Mais on peut encore constater que, pour de nombreux esprits, seuls les granites de Bretagne ou du Massif central peuvent être à l'origine de ce phénomène, alors qu'en réalité tous les sols sont émetteurs de ce radionucléide. On doit savoir que la source est si importante que l'on observe des concentrations, supérieures à celles qui sont tolérées dans les mines d'uranium, dans n'importe quel trou creusé dans le sol et non mis en communication directe avec l'atmosphère.

On peut aussi se poser la question suivante : combien de spécialistes du domaine nucléaire savent-ils que l'on a en permanence dans les poumons au moins une bonne dizaine de becquerels de radionucléides émetteurs alpha naturels ?

Mais quand il s'agit du plutonium, objet de notre propos, qu'entendons nous dire couramment ?

On entend ou on lit souvent : "ce n'est pas un produit naturel" ou mieux encore : "c'est un produit diabolique conçu par des apprentis sorciers qui ne se soucient nullement des conséquences de leurs actes". Comme nous allons le voir, il nous faut lutter contre cette idée fausse, nuisible à la compréhension des vrais phénomènes pris en compte par les radioprotectionnistes dans leur souci constant, et unique en son genre, de l'avenir lointain de l'humanité.

Mais comment lutter contre la peur mythique inspirée par cet élément au nom peu rassurant ? Eh bien, en disant tout simplement, comme l'aurait dit H. FRANCOIS : "Le plutonium c'est naturel !".

On peut, pour justifier cette affirmation, rappeler qu'il a existé des réacteurs nucléaires naturels fabriquant du plutonium comme ceux d'Oklo au Gabon, mais il nous semble plus judicieux de faire appel à une autre source de plutonium omni-présente en n'importe quel point du globe terrestre. C'est celle qui résulte de l'action du rayonnement neutronique secondaire provenant des rayons cosmiques sur l'uranium 238 naturel présent dans l'ensemble de la croûte terrestre (en moyenne 3 g d'uranium par tonne de roches). L'existence de cette source est connue depuis longtemps mais les faibles niveaux correspondants ont peu retenu notre attention jusqu'à maintenant. Il est vrai que les conséquences sanitaires ne méritaient pas qu'on y consacre de gros efforts.

Mais si l'on aborde les domaines irrationnels où le moindre becquerel est digne d’attention, il faut reconsidérer la situation. Dès 1942, peu de temps après la synthèse du plutonium, SEABORG et PERLMAN ont montré l'existence de cet élément dans les pechblendes du Canada (2). Des chercheurs ont confirmé sa présence dans d'autres minerais en provenance du Congo belge, du Colorado, de Russie et du Brésil. Les résultats des analyses effectuées sur ces minerais indiquent que les quantités de plutonium et d'uranium, exprimées en nombre d'atomes ou en masse, sont dans un rapport compris entre 3,6.10-12 et 20.10-12. Sachant qu'un Bq de plutonium 239 correspond à environ 4.10-10 g, on peut calculer les concentrations en plutonium exprimées en microgrammes par tonne et en becquerels par tonne dans les minerais et dans la croûte terrestre. Les résultats sont mentionnés dans le tableau ci-après :

 

Concentration en Pu 239

Pechblende à 60% d'U

Minerai courant à 3/1000 d'U

Croûte terrestre (3 g/t d'U)

Microgrammes/tonne

2 à 12

0,01 à 0,06

10-5 à 6.10-5

Becquerels/tonne

5.000 à 30.000

25 à 150

0,02 à 0,15

 

Si l'on utilise aussi la correspondance : 1 Bq de plutonium = 10.12 atomes, on peut alors, de façon plus imagée, indiquer que dans un pot de fleurs contenant un kg de terre il y a non seulement quelques milligrammes d'uranium mais aussi quelques dizaines de millions d'atomes de plutonium, ou encore plusieurs dizaines de milliards d’atomes de plutonium dans chaque mètre cube de terre.

Nous estimons que cette présence de plusieurs millions d'atomes de plutonium dans n'importe quel kilogramme de la croûte terrestre de notre planète nous autorise bien à dire "Le plutonium, c'est naturel !".

 

 

Références:

(1) H. FRANCOIS, La radioactivité, c'est naturel. Monaco : Editions du Rocher, 1983.

(2) SEABORG G.T, Ed. Transuranium elements products of modern alchemy. Stroudsburg : Dowden, Hutchinson and Ross, 1978.

 

Jacques PRADEL, Membre de l’AEPN http://www.ecolo.org

ancien Président de la Société Française de Radioprotection