LES EFFETS DU POLONIUM

 

par Jacques PRADEL*

Ancien Président de la Société Française de Radioprotection,

Membre du Comité Scientifique de l'AEPN

 

 

Il y a déjà longtemps que l'on a pris en considération le risque Radon, tout d'abord pour les mineurs d'uranium, puis pour les habitants de certaines maisons. Maintenant, on commence à se préoccuper de l'ensemble des travailleurs du sous-sol : mineurs divers, agents de métro, égoutiers...

Mais on n'a pas suffisamment porté attention au devenir de ces atomes de radon présents dans la croûte terrestre de notre planète et relâchés en partie dans notre atmosphère. Ils donnent, après leur désintégration assez rapide (période 3,8 jours), naissance à des atomes de plomb (Pb 210) et de polonium (Po 210) de durées de vie moyennes (période 19,4 ans pour le 210 Pb et 138 jours pour le 210 Po) et de forte radiotoxicité par ingestion (toujours supérieure d'un facteur 2 à 10 à celle du 239 Pu si redouté, cf. tableau 1).

 

I - COMPORTEMENT DU RADON

Dans la chaîne de l'uranium, le radium donne naissance à un atome de radon, gaz rare qui peut soit rester in situ, soit être véhiculé par les fluides air ou eau et atteindre ainsi éventuellement l'atmosphère si la durée du parcours n'est pas trop longue et est compatible avec sa durée de vie (période 3,8 jours).

On peut, en première approximation, considérer que les atomes de radon font un petit séjour dans l'atmosphère puis retournent à la surface du sol où ils retrouvent leurs frères, qui sont demeurés inclus dans la matrice des roches ou fixés sur les surfaces des fissures, ce qui permet de retourner globalement à l'état d'équilibre pour l'ensemble des radionucléides de la chaîne dans les couches superficielles. En réalité, il en résulte une concentration superficielle d'un facteur 2 ou 3, par rapport au sol plus profond, sur les premiers centimètres de profondeur et notamment sur la végétation. Il s'agit aussi dans cette couche superficielle de 210 Pb et 210 Po dispersés à l'état monoatomique et fixés au départ surtout sur des noyaux de condensation atmosphériques, qui sont donc probablement plus mobiles et plus assimilables par les êtres vivants. 

 

II - ESTIMATION DES NIVEAUX DE CONTAMINATION

La croûte terrestre contient en quantités, certes variables, mais toujours importantes, des traces d'uranium et de thorium accompagnés de leurs descendants. La concentration (réf. 2) est en moyenne de 3 grammes par tonne pour l'uranium et 10g/t pour le thorium (soit 4.104 Bq/t pour chaque radionucléide des 12 chaînes) ; elle peut être 10 fois plus importante dans des zones de dimensions kilométriques et peut atteindre 100 à 1000 fois ces valeurs dans des terrains uranifères en surface.

Le flux d'atomes de radon qui parviennent à l'atmosphère est en moyenne d'environ 10 000 atomes par mètre carré de sol et par seconde. Ces atomes après désintégrations successives retombent sur le sol à l'état de 210 Pb et 210 Po. Cet apport de 10000 atomes par mètre carré et par seconde, essentiellement de 210 Pb aboutit à l'équilibre à une contamination de 10 000 Bq par mètre carré de 210 Pb associé à autant de 210 Po.

Il en résulte les concentrations approximatives suivantes en Polonium et en Plomb (fig. 1) :

 

III - UTILISATION DE CES REPERES NATURELS

  1. Les contaminations par le plutonium
  2. La contamination naturelle par le 210Pb et le 210Po présente un risque par ingestion environ 10 fois plus important que la même contamination en 239Pu, ce qui permet de dire que la couche superficielle présente une contamination équivalente à une contamination de 105 Bq/m2 en 239Pu.

  3. Cette contamination surfacique naturelle en Polonium correspond pour l'ensemble du territoire français à celle résultant de la dispersion de 13 tonnes de Plutonium (réf. 3). Quant à la contamination profonde, elle est équivalente à celle de 80 tonnes de plutonium par mètre d'épaisseur et environ le double si l’on prend en compte le 210Pb.
  4. Les retombées de Tchernobyl en 137Cs présentent un risque d'ingestion faible par rapport aux retombées naturelles. En effet, la radioactivité du 137Cs ingéré est 100 à 1000 fois plus faible que celle présentée par la même contamination en 210Po.
  5. Les niveaux des retombées de Tchernobyl sont donc à comparer en Bq/m2 au niveau de la contamination naturelle équivalente à 106 ou 107 Bq/m2 suivant l'âge des exposés. Sans oublier que la contamination naturelle issue de l’uranium est quasi éternelle alors que les retombées de Tchernobyl décroissent avec une période d'environ 10 ans. Rappelons que 2.105 Bq/m2 a été retenu comme limite pour évacuer 300000 habitants sur une zone de 50 000 km2.

  6. Pour être complet, il convient d'ajouter les rejets volcaniques en polonium 50000 Ci/an (réf. 4) entraînant une contamination permanente équivalente environ à celle provenant d’un rejet de 4 tonnes de plutonium dans l’atmosphère.
  7. L'exposition des populations

Lorsqu'on évalue l'impact des rejets d'installation, il convient d'effectuer en parallèle selon les modélisations et les données utilisées pour évaluer les doses reçues par les populations l’évaluation des doses résultant de l’ingestion des radionucléides naturels, et notamment du plomb et du polonium contenus dans les aliments, qui sont probablement les plus importants.

En conclusion, il faut retenir que le 210Pb et surtout le 210Po sont présents partout, en quantité très importante relativement aux valeurs couramment citées pour dénoncer les pollutions des sols ou des aliments ou de celles découlant d’accidents, d’essais nucléaires ou de stockage des déchets.

Ceci doit nous rassurer quant aux très faibles niveaux des risques encourus du fait de l’existence des installations nucléaires, pour lesquelles des efforts gigantesques ont été faits en matière de radioprotection.

 

IV - REFERENCES

  1. Paulin, Radionucléides naturels p.12 – Toxiques nucléaires Masson 1997
  2. Plaquette SFRP, Becquerel et radioactivité d’origine naturelle
  3. Fusion, Sept.-Oct. 98 N°72, p.4 et 5 – J. PRADEL
  4. Lambert : Origine des radionucléides dans l’environnement - document SFEN.

 

* Document établi en collaboration avec Pierre ZETTWOOG, Didier BEUTIER et Nicole DELLERO.