Les cancers de Tchernobyl, explications

d'un médecin spécialiste en médecine nucléaire

 

 

Initialement publié par ENERRESSE N° 7682 - LUNDI 16 OCTOBRE 2000

 

 

 

L'ACCIDENT DE TCHERNOBYL

VU, QUATORZE ANS APRÈS,

PAR LE PROFESSEUR ANDRÉ AURENGO

 

 

 

Le professeur André Aurengo, chef du service central de médecine nucléaire du groupe hospitalier La Pitié-Salpêtrière, a reçu Enerpresse pour lui faire part de ses observations concernant les conséquences de l'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl, telles qu'on les connaît quatorze ans après.

Le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Trois personnes décèdent des conséquences de l'accident. Les personnels de l'installation et les équipes de secours présents sur le site pendant les premières heures ont subi une irradiation aiguë provenant des fragments du réacteur éparpillés sur le site, ainsi que du nuage et des dépôts radioactifs. Un syndrome d'irradiation aiguë a été confirmé chez 134 des 237 personnes hospitalisées : 28 d'entre elles sont décédées dans les semaines qui ont suivi.

L'excès de cancers de la thyroïde par rapport à la fréquence nationale d'apparition en Biélorussie, en Ukraine et en Russie est très important (environ 1 700 cas en excès en neuf ans dans ces trois pays) et correspond à une contamination massive par les isotopes radioactifs 131 et 132 de l'iode au moment de l'accident. Ces radioéléments ont disparu rapidement (leur période respective est de 8 jours et de 2,4 heures). Les pathologies thyroïdiennes observées sont à relier à la contamination reçue au moment de l'accident et peu après et concernent principalement les enfants de moins de quinze ans et in utero, dont la thyroïde est très radiosensible (ce qui n'est pas le cas de la thyroïde des adultes).

On compte dix décès par cancer de la thyroïde (les cancers thyroïdiens de l'enfant ne sont mortels que dans environ 3 % des cas et après une très longue survie), soit au total aujourd'hui 41 morts. De nombreux cancers thyroïdiens induits par des rayonnements ionisants se révélant tardivement, des nouveaux cas vont apparaître dans les 25 ans à venir Par manque d'informations crédibles et de précédents comparables, il est impossible de prédire le nombre de cas à venir, mais ils risquent d'être très nombreux. Le cancer de la thyroïde doit être dépisté et soigné à temps pour pouvoir être guéri.

Il faudrait effectuer dans la région de Tchernobyl un dépistage systématique tous les ans par échographie chez les enfants exposés; ce dépistage est actuellement très insuffisant. Sous l'égide de l'association non gouvernementale française " Les enfants de Tchernobyl ", le service du professeur Aurengo a accueilli et traité 33 enfants âgés de cinq mois à dix ans atteints du cancer de la thyroïde. La plupart de ces enfants sont considérés comme guéris ou en rémission, mais ils nécessitent tous une surveillance médicale régulière. Le Pr. Aurengo souhaite que l'on favorise la formation des équipes locales et l'aide au financement du dépistage et du traitement des cancers thyroïdiens.

La situation économique et financière de l'Ukraine et de la Biélorussie fait de la prise en charge de ces cancers un problème insoluble sans aide occidentale. Aujourd'hui, les enfants qui sont restés dans les zones contaminées par le césium 137 radioactif reçoivent environ 3 à 10 milliSieverts par an, qui s'ajoutent à l'irradiation naturelle. En dehors des cancers thyroïdiens, les autres certitudes locales sont une augmentation du nombre des suicides, de cancers et possiblement de leucémies chez les quelque 313 000 " liquidateurs " officiels.

Chez les personnes évacuées ou résidant en zone contaminée, on note également des conséquences psychologiques majeures, une dégradation de la qualité de vie, une baisse, peut-être volontaire de la fécondité, et l'apparition de nombreuses pathologies non spécifiques. Cependant, aucune augmentation du risque de malformation congénitale ou de leucémie n'a pu être clairement établie.

Pour A. Aurengo, la gravité de l'accident nucléaire de Tchernobyl tient, d'une part, à la conception des réacteurs russes RBMK dépourvus d'enceinte de confinement, instables à faible puissance, contenant des tonnes de graphite inflammable (dont l'incendie a joué un rôle majeur dans la formation du nuage contaminant) et d'autre part à des facteurs humains : sûreté mal assurée par des personnels insuffisamment formés et se livrant à des essais dangereux, pas de contrôle par une autorité indépendante, pas de " culture de sûreté ". On conçoit dans ces conditions que tôt ou tard, un accident ait été possible. Le système de l'ex-URSS a également montré ses carences dans un contexte de crise. Ainsi, pour prévenir l'irradiation thyroïdienne et les risques de cancer, la distribution d'iode stable n'a été faite que partiellement ou avec retard, aggravant ainsi les conséquences pour les enfants.

En ce qui concerne la France, A. Aurengo confirme que l'on n'a actuellement mis en évidence aucun effet pathologique du nuage de Tchernobyl qui a traversé notre pays. On a calculé que, pour les soixante ans suivant l'accident, l'impact du nuage se traduira au maximum par une dose efficace de 1,5 mSv dans notre pays alors que, durant cette même période, la radioactivité naturelle délivrera une dose efficace de l'ordre de 150 mSv.

 

(Correspondance particulière)

 

LUNDI 16 OCTOBRE 2000

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