Préface de Yumi Akimoto (Japon) pour l’édition japonaise du livre de Bruno Comby

" LE NUCLÉAIRE, AVENIR DE L’ÉCOLOGIE ? "

 

 

" Au cœur même de toute technologie, il doit y avoir une prière. "

(Yoshikazu Hani, fondateur de Jiyu Gakuen)

 

Le cours du matin commença comme à l’accoutumée. Le professeur avait ouvert la porte de la classe, et, juste au moment où il montait sur l’estrade et ouvrait la liste des élèves pour faire l’appel, une intense lumière blanc-bleu inonda la classe. L’instant d’après, la porte de la salle de classe fut violemment soufflée et projetée. Dans un bruit épouvantable qui fit vibrer tout mon corps, la classe fut envahie par un vent terrible chargé de poussière. Il était 8 h 06 le 6 août 1945. J’avais seize ans et c’était ma première rencontre avec l’énergie nucléaire.

Sans la moindre idée de ce qui se passait, nous suivîmes l’exemple de notre professeur en nous cachant sous nos pupitres, mais il ne s’ensuivit qu’un silence angoissant. Finalement le cours fut annulé et nous sortîmes. Ce qui accueillit nos yeux, ce fut un nuage en forme de champignon vénéneux qui tourbillonnait violemment dans un ciel bleu et clair.

Peu après cela, la guerre prit fin et nous quittâmes l’école de l’île d’Edajima (petite île située juste en face d'Hiroshima). Sur la route qui nous ramenait dans nos cités respectives, nous avons dû passer au travers des ruines noircies d’Hiroshima. C’était comme si la ville avait été aplatie par un coup de marteau géant. En attendant mon train, qui avait été bricolé à partir de quelques wagons de marchandises à peu près intacts, je m’étais assis sur une carcasse métallique parmi les décombres de ce qui avait été la gare de Hiroshima et je ressentais la sensation d’une indescriptible impuissance.

Sur le mémorial de la bombe atomique à Hiroshima, les mots " Qu’ici les âmes reposent en paix ; car nous ne répèterons pas le mal " sont gravés. Puisque la violence engendre la violence et que la vengeance engendre la vengeance partout dans le monde, la réponse du Japon, qui a été la première nation à souffrir des bombes atomiques, a été d’une toute autre dimension. Comme pour concrétiser la prière pour la paix du mémorial, le Japon a pris acte de l'existence de l’énergie nucléaire nouvellement acquise par l’humanité et a entrepris deux actions qui peuvent être qualifiées d’historiques.

La première de ces actions a été sa campagne pour la paix, dans le but d’éliminer les bombes atomiques et les bombes à hydrogène afin que les tragédies d’Hiroshima et de Nagasaki ne se reproduisent jamais. La seconde est de séparer l’énergie nucléaire du monde de la guerre et du carnage afin de promouvoir son utilisation à des fins pacifiques, en la transformant en moyen de contribuer au bonheur de l’humanité. En tant que preuve vivante ayant assisté en personne aux horreurs d’Hiroshima, je suis immensément fier de la façon dont le Japon a fait ce choix constructif et rationnel dans ces temps troublés, alors qu’il portait encore les cicatrices de la défaite, et de ce qu’il a adhéré sans faillir à ces nobles aspirations jusqu’à présent.

Plus d’un demi siècle s’est écoulé depuis que la bombe atomique a été lancée. Aujourd’hui, le monde est rempli de gens qui décrient les armes atomiques comme inhumaines et immorales. De nos jours, les scènes de guerre sont diffusées dans tous les coins du monde par la télévision, et qui se risquerait à recréer les horreurs de Hiroshima et Nagasaki devrait s’attendre à se faire des ennemis des nations et des peuples du monde. La bombe atomique, qui devint l’objet de l’attention particulière des grandes puissances mondiales comme " l’arme finale " lorsqu’elle fit son apparition et conduisit à une compétition acharnée pour son perfectionnement, ne fut, en fin de compte, jamais utilisée dans la guerre du Vietnam, la crise des missiles cubain, au Moyen Orient, dans la guerre du Golfe, ni dans aucune des multiples crises que le monde a connu. Depuis que des armes de frappe de haute précision utilisant les technologies de pointe de l’information ont été mises au point et sont de plus en plus performantes, les bombes atomiques et à hydrogène ne sont plus que des engins de destruction de masse dont le coût d’entretien et de développement sont devenus énormes. Elles sont progressivement devenues obsolètes et inutilisables, se transformant en armes de chantage pour nations malhonnêtes.

D’autre part, qu’en est-il des applications pacifiques de l’énergie nucléaire ? L’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire par le Japon commença avec la promulgation de "The Atomic Energy Basic Law" (" Loi cadre sur l’énergie atomique ") œuvre de législation qui n’a son égale nulle part ailleurs. L’article 2, qui énonce " La recherche, le développement et l’utilisation de l’énergie nucléaire seront limités aux applications pacifiques, visant à garantir la sécurité et exploités de façon indépendante dans un contexte démocratique, leurs résultats en seront rendus publics afin de participer à la coopération internationale ", dépeint succinctement comment doit se présenter l’énergie nucléaire dans la pacifique nation japonaise. Au cours des cinquante années qui ont suivi sa promulgation en 1955, le texte n’a rien perdu de sa fraîcheur. Dans l’esprit de cette loi, le Japon s’est défini rigoureusement pour assurer que ses activités dans le domaine de l’énergie nucléaire ne pourraient jamais être utilisées par aucun pays à des fins militaires. Sur le plan international, il a participé à la mise en place d’un protocole international d’inspection qui est plus complet que dans tout autre domaine. Une distinction nette est faite entre l’uranium et le plutonium des nations non nucléaires, avec le Japon à leur tête, et les matières nucléaires à usage militaire, et tout est conservé sous le plus strict des contrôles ; il n’y a jamais eu le moindre incident concernant des matières nucléaires destinées à des usages pacifiques et détournées pour fabriquer des armes militaires.

Après plus de cinquante ans, la prière du Japon pour l’élimination des armes atomiques commence à porter ses fruits.

Actuellement, il y a cinquante deux réacteurs nucléaires au Japon produisant plus d’un tiers de l’électricité totale. Dans les dix dernières années du 20ème siècle, treize nouveaux réacteurs nucléaires ont été construits au Japon et la production d’énergie augmentée de 56 %. Il est intéressant de constater qu’en Allemagne, où des pressions politiques ont imposé un " consensus " pour l’élimination des réacteur nucléaires, la production d’énergie nucléaire a augmenté de 10 %, malgré la fermeture de deux réacteurs. Aux États Unis, également, où les vieux réacteurs nucléaires sont fermés l’un après l’autre, la production d’énergie nucléaire a augmenté de 30 %. En France, le pays où est né l’auteur de ce livre, Bruno Comby, l’énergie nucléaire représente 80 % de l’énergie électrique totale produite, et est même exportée vers des pays voisins où des politiciens populistes ont empêché les gouvernements de mettre en place une politique énergétique valable. Ainsi, la fabrication d’énergie nucléaire par la France soutient la fourniture en énergie de toute l’Europe. Grâce à ces apports, l’énergie nucléaire est parvenue à constituer 18 % de l’électricité mondiale. Qu’on le veuille ou non, l’énergie nucléaire est indispensable en tant que source durable de l’énergie nécessaire au maintien du développement de la civilisation.

En dépit de ces évidents avantages, pourquoi le public est-il toujours incapable d’accepter l’énergie nucléaire avec " l’esprit en paix " ? Le charbon et le pétrole, la machine à vapeur et l’automobile, même l’avion se sont tous, au début, heurtés à l’incompréhension de la société, et il y a eu une réaction considérable contre leur commercialisation. Néanmoins, ces commodités ont été rapidement adoptées par la société et elles ont été acceptées comme éléments indispensables au maintien de la civilisation.

D’autre part, à cause des effets de la course au armements nucléaires entre l’Est et l’Ouest, la société a fait peu de progrès vers l’adoption de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Au fil du temps, une mauvaise impression a commencé à se dégager des fausses images de l’énergie nucléaire qui ont été déformées par l’idéologie et le dogme, ainsi que par les mauvais journalistes et l’industrie du divertissement qui l’exploitent comme le parfait matériau pour histoires d’horreur, et aussi par les activistes contestataires et anti-civilisation qui en veulent à la société moderne. Une mode se répand chez les activistes sociaux, gens qui se dépeignent comme écologistes, et même parmi les journalistes et la presse, prétendant que l’attitude la plus progressiste consiste à nier les efforts en matière de sûreté et les excellents résultats de l’industrie nucléaire et accusent l’énergie nucléaire d’être antisociale en jouant l’amplification des risques des radiations et de la radioactivité. Des politiciens populistes, sensibles aux humeurs des communautés, ont commencé à user de critiques envers l’énergie nucléaire comme de munitions dans leurs batailles politiques, au point que ces attitudes commencent maintenant à fausser la politique énergétique de certaines nations et même les orientations des congrès internationaux sur l’écologie. La réaction antigène-anticorps de la société, qui devrait normalement être saine, commence à subir une dégénérescence pathologique tournant à la maladie auto-immune, une maladie du collagène, qui rejette et détruit même les éléments qui sont essentiels à sa propre survie. La civilisation commence à dévaler la pente glissante qui mène à son autodestruction.

Maintenant, au moment même où le gaspillage inconséquent de combustibles fossiles est en train de bouleverser le cycle du carbone qui protège la Planète Bleue, et où la civilisation est près d’affronter un problème de survie, l’humanité a obtenu la clef qui permet de découvrir le principe cosmologique de l’énergie nucléaire et d’utiliser librement cette technologie. Je ne peux pas croire que ces circonstances ne sont qu’une coïncidence. Il y a tant de gens qui, par une peur et une aversion déraisonnées, veulent rejeter l’énergie nucléaire qui est la dernière bouée de sauvetage lancée à une civilisation qui s’enfonce dans un océan de gaz carboniques, tellement aussi d’agitateurs insensibles qui essayent d’exploiter cette peur.

Comme l’observait, il y a plus d’un demi siècle, le Prix Nobel Enrico Fermi, premier scientifique à avoir réussi à provoquer une réaction nucléaire, il ne sera pas facile d’effacer l’abominable image de l’énergie nucléaire derrière laquelle demeure le cauchemar de l’utilisation militaire. Justement parce que le Japon a pris l’initiative de promulguer la " Loi Cadre sur l’Énergie Nucléaire " avec l’assentiment et les bénédictions du peuple japonais dans une tentative pour transformer un sabre en charrue, se dessine maintenant un espoir de victoire dans la dure bataille pour débarrasser le monde de la malédiction des armes nucléaires. La " Loi Cadre sur l’Énergie Nucléaire " a été adoptée en tant qu’acte non partisan de membres du Parlement signé par 421 membres du Parti Libéral Démocratique et du Parti Socialiste, peu après que le Japon eût retrouvé sa souveraineté d’État. Le temps est maintenant venu pour nous de partager les prières de ces prédécesseurs, aux aspirations si élevées, et de mettre en commun tous nos efforts pour établir l’énergie nucléaire comme pilier de soutien d’un monde pacifique. Par égard pour la race humaine, il nous reste peu de temps.

Dans ce livre, Bruno Comby, un véritable écologiste qui a consacré sa vie à la protection de l'environnement et de notre santé, a utilisé sa vision calme et dépassionnée de scientifique et son point de vue global d’écologiste scientifique pour examiner clairement les ombres et les lumières de l’énergie nucléaire, ses risques et ses avantages. Ce livre dissipera les nombreux mythes qui entourent l’énergie nucléaire, forgés par des intrigues et des luttes de pouvoir internationales, l’ambition personnelle et le sensationnalisme, et il délivrera le lecteur des malentendus et des confusions créés par des scientifiques et des politiciens aux vues étroites. Du plus profond de mon cœur vient le vœu que ce livre devienne un guide inestimable pour la poursuite de la sauvegarde de la société moderne et qu’il donne son impulsion au développement d'un mouvement écologique légitime préconisé par Bruno Comby, dans le monde entier.

Février 2002

Yumi Akimoto