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Lettre d'information de l'association des écologistes pour le nucléaire

Mardi 10 août 2004

 

 

Causes de l'accident industriel à Mihama au Japon

 

Madame, Monsieur, chers amis,

Suite à l'accident qui s'est produit hier dans la centrale nucléaire de Mihama au Japon, nous disposons à présent d'informations plus précises sur les causes de l'accident.

La cause de cet accident est la rupture brutale d'une tuyauterie acheminant la vapeur du circuit secondaire, après son passage dans la turbine et son refroidissement, avant son retour vers le générateur de vapeur (voir ci-dessous les photos et le plan du circuit), libérant d'un seul coup de grandes quantités de vapeur dans la salle des machines.

Onze personnes qui se trouvaient alors malheureusement dans la salle des machines ont été gravement brûlées. Quatre d'entre elles sont décédées peu après le jour même de l'accident (hier). Sur les sept personnels de la centrale gravement brûlées encore en vie actuellement, au moins deux sont aujourd'hui dans un état critique avec un pronostic très sombre.

La rupture s'est produite sur une partie droite d'une canalisation de 56 cm de diametre en acier noir, dans laquelle l'eau collectée après son passage dans la turbine circule a 195°C sous 12,7 atmosphères lorsque le réacteur fonctionne à pleine puissance (d'autres sources à confirmer font état, au moment de l'accident d'une température de 140°C sous 9 atmosphères). Ces deux sources sont cohérentes si la première correspond à des valeurs maximales (à pleine puissance), les valeurs plus basses étant celles au moment de l'accident.

A cet endroit, l'épaisseur de la tuyauterie est en principe (lors de la construction) de 10 mm, et doit rester au moins égale à 4,7 mm, mais elle n'etait plus que de 1.4 à 1.5 mm, comme on le voit sur la photo, sur une grande partie de la surface de la tuyauterie dans la zone de la rupture. Il semble donc y avoir eu une importante corrosion de l'intérieur de la tuyauterie dont l'épaisseur initiale était d'un centimètre. Il y a eu une défaillance majeure soit au stade de la conception (non prise en compte ou sous-estimation des phénomènes de corrosion), soit au stade des vérifications et inspections périodiques de cette conduite. Une inspection correctement effectuée de cette canalisation, avec des appareils à ultra-sons couramment utilisés pour ce type d'inspection, aurait du permettre de déceler l'affaiblissement de cette canalisation.

Le réacteur de Mihama-3 concerné par cet accident avait divergé en janvier 1976 et été couplé au réseau le 19 février 1976. Le réacteur fonctionne donc depuis 28 ans et a dû subir au moins deux visites décennales (des inspections particulièrement approfondies qui n'auraient pas décelé ce défaut?). Selon des informations diffusées aujourd'hui par la télévision japonaise (non confirmées) l'épaisseur de cette tuyauterie n'aurait pas été inspectée depuis la mise en route de la centrale. Il semble donc y avoir eu une ou plusieurs carences graves au niveau des procédures de contrôle et d'inspection qui ont été insuffisantes, et/ou un problème de qualité insuffisante de l'acier de cette tuyauterie, s'ajoutant peut-être à une insuffisance de calcul et/ou la non-prise en compte (ou la sous-estimation) des phénomènes de corrosion au stade de la conception.

"Nous sommes responsables", a ajouté le directeur du contrôle de la qualité, Koji Ebisuzaki, lors d'un point presse tenu à Mihama, à 350 km à l'ouest de Tokyo. "Nous avons effectué des inspections visuelles mais jamais par ultrason" a par ailleurs déclaré le porte-parole de KEPCO, Haruo Nakano. Les inspections par ultrasons sur cette conduite n'étaient pas obligatoires, mais c'était le seul moyen de détecter l'érosion interne de la tuyauterie. Kepco avait récemment reporté un contrôle technique approfondi de la tuyauterie qui a lâché.

L'AEPN rappelle que la maintenance et la sécurité dans les centrales nucléaires sont et doivent rester une priorité absolue.

On remarquera néanmoins que le principe de base de la sécurité nucléaire : redondante et multi-niveaux, et les nombreux systèmes de sécurité installés à différents niveaux ont provoqué, malgré le caractère rarissime et la gravité de cette situation, l'arrêt automatique et immédiat du réacteur sans autre sur-accident ou aggravation de la situation du réacteur.

 

Des informations transmises hier faisaient état d'une vapeur à 260°C ou 270 °C. Il s'agit de la température de la vapeur à la sortie du générateur de vapeur, avant son passage dans la turbine et le refroidisseur, mais ce n'est pas à ce niveau que s'est produit la rupture du circuit de vapeur secondaire. A l'endroit de la rupture, la température était plus faible (140°C), après refroidissement à la sortie des turbines, mais néanmoins suffisante pour gravement brûler les malheureux personnels qui se trouvaient alors dans la salle des machines en train de travailler.

Le réacteur nucléaire s'est spontanément arrêté au moment de l'accident, mais il n'est pas clair pour l'instant si c'est la rupture de cette tuyauterie qui a provoqué un arrêt d'urgence du réacteur (ce qui est le plus probable), ou si c'est un arrêt inopiné pour une autre raison qui a entraîné une surpression dans cette conduite et provoqué la rupture de la tuyauterie, déjà très affaiblie par la corrosion ?

Rappelons qu'il n'y a eu aucun relâchement de radioactivité dans l'environnement, l'accident n'étant pas nucléaire, mais de nature industrielle affectant uniquement le circuit secondaire (non radioactif) de la centrale.

Cet accident ayant fait quatre victimes est cependant dramatique. Il s'agit du plus grave accident jamais survenu dans une centrale nucléaire depuis l'accident de Tchernobyl en 1986. Il convient toutefois de relativiser : l'actualité récente nous a encore montré ces derniers jours que le gaz tue, hélas, bien plus encore, et bien plus souvent, sans parler des milliers de morts chaque année dans les mines de charbon (dont on ne parle que très rarement).

Le débit de vapeur dans le circuit secondaire de ce réacteur dont l'une des boucles a été subitement rompue, est de 1600 tonnes de vapeur par heure, ce qui représente 27 tonnes de vapeur par minute, ou encore une tonne de vapeur toutes les deux secondes environ, circulant sous une pression d'une dizaine d'atmosphères. Lorsque la tuyauterie s'est rompue, cette vapeur s'est détendue et a envahi l'ensemble de la salle des machines rapidement (en deux minutes environ d'après notre calcul, en supposant que le volume de la salle des machines est approximativement de 100 m x 50 m x 20 m), jusqu'à ce que la boucle fuitante soit isolée et que le flux de vapeur se tarisse, d'où la grande difficulté pour les personnes présentes à s'enfuir suffisamment vite, notamment celles qui étaient les plus éloignées des sorties ou qui étaient dans les parties supérieures de la salle des machines, devant alors descendre plusieurs étages (la vapeur se répand en premier dans les parties hautes) avant de sortir du bâtiment. L'atmosphère a du devenir très rapidement (en quelques dizaines de secondes) suffoquante (la salle des machines est un grand espace ouvert de plus de 100 mètres de long et environ 50 mètres de large, sur plusieurs niveaux, il faut donc du temps et éventuellement traverser la salle et descendre plusieurs escaliers pour en sortir).

Autrefois les accidents sur des bouilleurs ou chauffe-eaux, industriels ou domestiques, mal réglés, mal entretenus ou dépourvus de systèmes de sécurité étaient fréquents, provoquant souvent des accidents graves (et de nombreux décès) par brûlures à la vapeur. Il s'agissait parfois de défaillances matérielles, mais aussi d'imprudences. Par exemple, au début du siècle dernier, sur les bateaux à vapeur avec chaudière au charbon qui remontaient le Mississipi, les vannes de sécurité qui relachaient la vapeur en cas de surpression, étaient souvent fermées par les marins pour "forcer la vapeur" et remonter le fleuve un peu plus vite (pour rentrer chez eux quelques heures plus tôt). Certains l'ont payé de leur vie, car les accidents (explosion de la chaudière à vapeur) étaient fréquents. Heureusement les normes de sécurité sont de plus en plus strictes, aussi bien sur les matériels domestiques (chauffe-eaux), qu'industriels et les accidents sont devenus beaucoup moins fréquents qu'autrefois. Toutefois, comme nous le rappelle l'accident de Mihama, il n'y a pas d'énergie sans risque. De tels accidents sont toujours possibles, nous devons donc, à tous les niveaux, rester extrêmement vigilants, favoriser et accroître la culture de sûreté et bien respecter les régles de prudence et de sécurité. Encore aujourd'hui, les accidents industriels résultant de la corrosion de tuyauteries ou d'explosions de vapeur sont fréquents, mais on n'en parle que rarement dans les médias.

Quel retentissement aurait eu le même accident qu'à Mihama, dans une usine autre que nucléaire? Probablement un petit article dans la presse locale, mais certainement pas les honneurs de la presse internationale.

Conseil de sécurité : toute installation contenant de l'eau chaude et un système chauffant est potentiellement dangereuse et peut provoquer une "explosion de vapeur". Chez les particuliers, de nombreux accidents sont provoqués chaque année par un manque de surveillance du bon fonctionnement du groupe de sécurité de chauffe-eau domestiques. Il faut en effet (environ une fois tous les 3 mois par exemple), vérifier le bon fonctionnement du "groupe de sécurité" (petite soupape de décharge en cas de surpression dans le chauffe-eau, au cas où le thermostat ne fonctionnerait plus). Oublier de tester son groupe de sécurité, c'est risquer de voir exploser d'un coup son chauffe-eau, ce qui peut provoquer de graves brûlures par la vapeur (comme à Mihama). Il est vivement recommandé de tester et d'actionner régulièrement le groupe de sécurité situé sous votre chauffe eau pour vérifier qu'il fonctionne bien et prévenir ce genre d'accident. En cas de besoin (si le groupe de sécurité ne fonctionne plus), voyez avec votre plombier comment le remplacer sans tarder.

Il importe d'une part de tirer les leçons et de tout faire pour qu'un accident tel que celui de Mihama ne se reproduise pas, et il faut en minimiser les conséquences éventuelles au cas où l'accident se produirait tout de même.

D'autre part il convient de souligner le caractère NON-NUCLEAIRE de cet accident qui aurait aussi bien pu se produire dans une autre usine ou une centrale produisant de l'électricité à partir du gaz ou du charbon par exemple. Il ne s'agit pas d'un accident NUCLEAIRE. Il s'agit d'un accident INDUSTRIEL.

Greenpeace ainsi que d'autres mouvements écologiques partout dans le monde, ont déjà commencé, dès le lendemain, en profitant honteusement de ce bien triste accident, et réclament partout la sortie du nucléaire, au Japon comme ailleurs, et (entre autres revendications) la fermeture de la centrale de Fessenheim en France, alors que CET ACCIDENT DE MIHAMA N'EST PAS NUCLEAIRE. On peut s'étonner du fait que récemment plusieurs explosions de gaz ayant fait bien plus de victimes que l'accident bien triste de Mihama, nous ne les avons cependant pas entendu réclamer la "sortie du gaz" comme ils demandent aujourd'hui, en raison d'un accident INDUSTRIEL (NON-NUCLEAIRE) la "sortie du nucléaire". Les explosions sont pourtant une spécialité du gaz, qui est la cause d'un nombre bien plus grand d'accidents, bien plus fréquents, et avec des bilans bien plus lourds (sans parler du charbon) que celui qui vient de se produire au Japon. Y-a-t-il ainsi deux poids et deux mesures ?

L'AEPN renouvelle ses plus sincères condoléances aux familles des victimes.

Bien sincèrement,

 

Bruno Comby

Président de l'AEPN

Association des Ecologistes Pour le Nucléaire (civil uniquement, exploité proprement et avec la plus grande prudence)

Photo extérieure du réacteur en tête d'article : source AEPN - www.ecolo.org / B.Comby

Photos de la conduite de vapeur accidentée : source KEPCO - Kansai Electric Power Corporation

 

 

http://www.ecolo.org

 

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